La
Croatie dans la fédération yougoslave communiste
1986
La
croisade grand-serbe de Milosevic
1991
La
guerre et lindépendance de la Croatie
1995
La
victoire militaire croate et le retour de la paix
2000
« Laprès-Tudjman »
La
première expérience yougoslave
1918
LEtat
des Slovènes, des Croates et des Serbes. Alors
que la Première Guerre mondiale touche à
sa fin, le 29 octobre, le Sabor
proclame lindépendance du Royaume Triunitaire
de Croatie-Slavonie-Dalmatie, lequel rallie léphémère
« LEtat des Slovènes, des Croates
et des Serbes ». Il se donne Zagreb pour capitale
et rassemble les territoires sud-slaves de lAutriche-Hongrie
moribonde (Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et
Voïvodine).
Le
Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes.
Un mois plus tard, le 1er décembre, cet État sunit
aux royaumes de Serbie et du Monténégro sous le sceptre
de la dynastie serbe des Karageorgevic. Le Sabor, qui
n'est pas consulté, ne ratifiera jamais l'accord
et sera bientôt aboli, malgré une tradition
millénaire. Le nouvel Etat ainsi constitué
prend le nom de « Royaume des Serbes, des
Croates et des Slovènes » (ou Royaume SHS).
Répression
militaro-policière. Le chef du parti paysan
républicain, Stjepan Radic, sy oppose
alors avec véhémence. La contestation populaire manifestée
en Croatie est matée par lintervention brutale
des troupes serbes. Fruit des traités de Versailles,
le nouvel État, centralisé à Belgrade, tentera sans
jamais y parvenir à concilier les traditions politiques
croates et serbes, par trop divergentes, forgées
au cours des siècles précédents
au sein de la monarchie austro-hongroise, pour les
premiers, et de l'empire ottomans, pour les seconds.
Débute alors une période de répression et dhégémonie
serbe qui s'appuie sur l'appareil administratif et
militaro-policier.
Profondes
disparités économiques. L'Etat nouvellement
crée accumule de profondes disparités :
Un taux d'illettrisme en 1921 allant croissant du nord
au sud, de 8,8 % en Slovénie à 83,8 %
en Macédoine. En outre, en 1919, la Croatie
détient à elle seule 60,4 % du capital
du Royaume, la Slovénie 20,7 %, la Serbie
5,8 %, la Voïvodine 5,1 %, la Bosnie
4,6 %, le Monténégro 0,8 %.
Dans ce contexte, en imposant d'entrée de jeu
un taux de change de 1:4 entre couronnes autrichiennes
et dinars serbes, dont le pouvoir d'achat est quasiment
égal, le régime de Belgrade suscite l'exaspération
des épargnants croates et slovènes qui
y dénoncent une spoliation massive.
1919
Création
du Parti communiste yougoslave. Irrédentisme italien. Le poète
profasciste Gabrielle dAnnunzio pénètre à
Rijeka (Fiume) le 11 septembre
à la tête de ses légionnaires et sempare du port
croate, objet de revendications irrédentistes
italiennes.
1920
Par
le traité de Rapallo (12 novembre), lItalie obtient
dimportants territoires croates (Istrie,
Zadar et ses environs, les îles de Cres, Losinj et
Lastovo) et slovènes, soit quelque 10 000
km². Rijeka est proclamée ville libre, mais sera
annexée par Mussolini en 1924 à la suite du pacte de
Rome, conclu avec Belgrade. Elle ne redeviendra croate
quen mai 1945, au sein de la Yougoslavie titiste.
La répression fasciste entraînera, en
dix ans, la mort de 2000 Croates et Slovènes
et conduira à l'internement de 20 000 autres.
Dans
les territoires croates sous occupation italienne,
la répression sanglante conduite, l'année
suivante, par Mussolini contre la "République
de Labin", autoproclamée par les mineurs
de cette bourgade d'Istrie avec le soutien de la population
croate, est considéré comme le premier
acte de résistance armé en Europe contre
le fascisme.
Le Parti paysan s'impose en Croatie. Le Parti
paysan de Radic remporte une victoire écrasante
en Croatie et s'impose largement comme le principal
parti croate. La synthèse de son programme social,
national et pacifiste est résumée dans
son objectif : l'instauration d'une "république
croate neutre et paysanne", d'autant qu'il ne
reconnaissait pas la dissolution du Royaume Triunitaire
de Croatie-Slavonie-Dalmatie.
De
son côté, Svetozar Pribicevic, le leader
serbe de Croatie, qui avait été l'un
des piliers de la coalition croato-serbe d'avant-guerre,
se rallie au centralisme de Belgrade et devient le
principal allié du gouvernement serbe.
1921
Constitution
centralisatrice. La nouvelle Constitution renforce
la politique centralisatrice de Belgrade en divisant
lÉtat en 33 unités administratives qui ignorent
les frontières historiques des entités constitutives
du Royaume. Tandis que la déception des Croates
ne cesse de grandir, ceux-ci se détournent du
"yougoslavisme", mouvement pourtant né
en Croatie au siècle précédent,
qui prônait l'union, sur un pied d'égalité,
des Slaves du Sud. Le ressentiment est atisé
par la politique discriminatoire et de répression
systématique dont ils font lobjet, comme
les bastonnades policières, inconnues avant
1918. La grande majorité des Croates se rassemble autour
de ses thèses républicaines et fédéralistes de Stjepan
Radic, chef charismatique du parti paysan républicain,
qui entame un long combat politique et pacifique contre
le centralisme de Belgrade.
Déclaré
illégal, le Parti communiste est interdit.
1922
Appel
à la SDN. Fervent partisan de l'instauration
d'une Croatie indépendante, Radic en appelle à
la Société des Nations, dont il espère
le soutien sur la base des Quatorze points du président
Wilson.
1923
Aux
élections parlementaires, le Parti paysan de
Radic (HSS) remporte, en Croatie, un véritable
plébiscite et s'impose comme le deuxième
parti du royaume SHS, juste derrière les radicaux
serbes, au pouvoir à Belgrade.
1924
L'influence
politique grandissante de Radic lui vaut d'être
emprisonné; son parti, le HSS, est alors interdit.
1925
Le
régime organise des élections anticipées,
mais face au fort mécontentement populaire,
il se rétracte et autorise le HSS, réhabilité,
à y prendre part : celui-ci obtient 67 mandats,
contre 70 auparavant, tandis que le gouvernement
n'obtient que 49 % des suffrages. A son tour Radic
fait un geste en reconnaissant le Royaume SHS.
Réunissant
des membres du parti radical serbe et du parti
paysan croate, un éphémère gouvernement de coalition
est formé au sein duquel Radic, fraîchement libéré
de prison, se voit accorder le portefeuille symbolique
de ministre de lÉducation.
1927
Alliance
Radic-Pribicevic. Aux dernières élections
avant l'instauration de la dictature, le HSS obtient
61 mandats, et plus de 90 % des voix en Croatie.
La majorité (parti radical serbe), elle, perd
un quart de ses sièges.
Mais
le revirement du leader serbe de Croatie et président
du Parti démocrate serbe, S. Pribicevic, change
la donne et ouvre la voie, veut-on croire, à
une fédéralisation du royaume. Déçu
du centralisme radical dont il fut, depuis 1918, l'un
des plus actifs défenseurs, il apporte son soutien
inattendu au leader charismatique croate, S. Radic,
avec lequel il conclut une alliance, la Coalition démocrate-paysanne
(SDK).
1928
Attentat
contre Radic au Parlement. Les partisans du centralisme
y cependant voient une menace mortelle. L'un d'eux,
un élu du Parti Radical serbe, Punisa Racic, réclame,
pour corriger "l'erreur de 1918" que l'on
rebaptise l'Etat en "Grande Serbie" et professe
des menaces à l'encontre des leaders croates.
Le 20 juin, en pleine séance du Parlement
à Belgrade, il met ses menaces a exécution
et tire à bout portant sur Stjepan Radic, mortellement
blessé, tue deux autres élus croates,
Pavle Radic et Djuro Basaricek (ce dernier s'interpose
devant Pribicevic et reçoit la balle destinée
au leader serbe de Croatie), et en blesse deux autres,
Ivan Pernar et Ivan Grandja. Figure emblématique du
combat démocratique pour la souveraineté
la Croatie, Stjepan Radic, décède le
8 août. Il restera comme l'un des plus grands
hommes politiques croates. Ses funérailles nationales
à Zagreb rassemblèrent 300 000 personnes.
Vladko
Macek succède à Radic à la tête
du HSS.
En
guise de protestation à l'assassinat de Radic,
Tito, le chef du PC croate, organise des manifestations
hostiles au régime serbe. La SDK, réunissant
toujours les leaders croates et serbes, récuse
quant à elle l'application des lois du Parlement
de Belgrade dans les territoires anciennement austro-hongrois,
déclarant ses décisions nulles et non
avenues.
Cet
épisode met fin au parlementarisme yougoslave
de l'entre-deux-guerres, qui était dès
le début voué à l'échec
: en appuyant son appareil militaro-policier et bureaucratique
quasi uniquement sur les Serbes (38 % de la population),
le régime ne pouvait s'assurer durablement une
hégémonie incontestée.
1929
Naissance
de la Yougoslavie et proclamation de la dictature.
Le 6 janvier, le roi Alexandre suspend la Constitution,
interdit les partis politiques et proclame la dictature.
Le « Royaume des Serbes, Croates et Slovènes »
est bientôt rebaptisé « Royaume de
Yougoslavie ». Les références nationales
propres sont proscrites au profit du terme commun "yougoslave".
Or il apparaît vite comme une manœuvre destinée
à poursuivre la même politique hégémonique.
Coupable d'alliance avec la Parti paysan croate, Svetozar
Pribicevic, le leader des Serbes de Croatie est interné.
Radicalisation
politique. Apparaissent alors en Croatie aux deux
extrêmes du bloc démocratique et pacifiste
incarné par le Parti paysan croate, deux options
politiques marginales partisanes de la résistance
armée : le Parti communiste, appelant à
l'insurrection populaire dans le but de créer
une Yougoslavie fédérale, et les Oustachas
(insurgés) profascistes, d'Ante Pavelic, prônant
le terrorisme comme moyen d'action destiné à
instaurer une Croatie indépendante.
1931
Instauration
de 9 banovines. Le roi Alexandre promulgue une
nouvelle Constitution qui instaure neuf provinces (banovine).
De nouveau, les frontières ne respectent pas
les entités historiques : ainsi les Serbes,
qui ne forment alors que 39 % de la population,
constituent la majorité de la population dans
six des neuf provinces. Les élections, auxquelles
les partis politiques traditionnels ne peuvent prendre
part en raison des conditions prohibitives qui leur
sont imposées, aboutissent à la formation
d'un "parlement" de représentants
de corporations (fonctionnaires, avocats, commerçants,
prêtres...).
Le
HSS continue à faire l'objet de persécutions.
1932
L'insurrection
armée menée par les oustachas dans la
région de Lika se solde par un échec,
malgré le soutien du parti communiste yougoslave
qui appelle alors à la création d'une
"Croatie indépendante".
1933
Malgré
une action politique qui demeure indéfectiblement
attachée aux principes démocratiques
et à la lutte non-violente, Vladko Macek, le
leader du Parti paysan, est à son tour condamné
à trois ans de prison et interné.
1934
Attentat
contre le roi Alexandre. En déplacement
à Marseille, le roi Alexandre de Yougoslavie est assassiné
par un membre de lORIM (Organisation révolutionnaire
intérieure de Macédoine) dans un attentat mis au point
en collaboration avec le mouvement "révolutionnaire"
Oustacha. Celui-ci compte alors quelques centaines
de membres, exilés dans des camps dentraînement
dans l'Italie de Mussolini et en Hongrie.
1935
Libéré
de prison, Macek remporte 37,4 % des voix aux
élections (dont 97 % des suffrages croates)
et obtient même 400 000 voix en Serbie.
Face à lui, le candidat du régime, Jevtic
est crédité de 60,6 % des suffrages.
Afin de se prémunir des violences policières
de plus en plus répétées à
son encontre, le HSS instaure son propre service de
protection civil et rural.
1936
Rapprochement
avec l'axe. Belgrade entame son rapprochement avec
l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste. Ainsi, en 1936,
le chef du gouvernement yougoslave, Milan Stojadinovic,
rencontre Hitler, puis, l'année suivante, Mussolini.
1937
Prenant
modèle sur l'Allemagne et l'Italie, le chef
du gouvernement de Belgrade, Milan Stojadinovic, instaure
ses unités de "Chemises bleues" dont
le salut reprend celui des nazis.
Tito
prend la tête du PC yougoslave. Josip Broz,
dit Tito, devient secrétaire général
du PC yougoslave. Son nom est néanmoins encore
largement méconnu de l'opinion publique. A l'époque
c'est en effet encore l'écrivain croate Miroslav
Krleza qui est, et de loin, la figure emblématique
de la gauche croate.
1938
Plébiscite
du HSS. Le parti paysan, dirigé par Macek, est
plébiscité aux législatives en Croatie et remporte
44,9 % des suffrages dans l'ensemble de la Yougoslavie.
Il prend alors part à la constitution du gouvernement
yougoslave.
Disparités
nord-sud. Tandis que l'effondrement des cours des
céréales à partir de 1926 met
un coup d'arrêt brutal au processus d'industrialisation
naissant, les disparités au sein de la Yougoslavie
sont loin d'être effacées à la
veille de la Seconde Guerre mondiale : la production
industrielle par habitant s'éleve à 3320
dinars en Slovénie, 1560 en Croatie, 846 en
Serbie, 683 en Bosnie et 156 en Macédoine,
soit un rapport de 1 à 22 du nord au sud.
La
Yougoslavie unitaire apparaît de plus en plus
comme l'homme malade de l'Europe dont la survie ne
tient plus qu'à l'ordre international issu de
la Grande Guerre.
1939
De
nouveau l'Europe s'enfonce dans la guerre : Hitler
a annexé l'Autriche en 1938 et occupé
la Tchécoslovaquie, tandis que Mussolini s'empare
de l'Albanie.
Banovine
de Croatie. Dans ce contexte tourmenté,
malgré lopposition des milieux grand-serbes,
le Prince régent Paul donne son aval à
laccord Cvetkovic-Macek, entre le premier ministre
serbe et le leader croate, qui établit une « Banovine
de Croatie » au sein du royaume yougoslave. Gouvernée
par un ban, ce vice-royaume jouit dune très large
autonomie et rassemble toutes les provinces croates
hormis lIstrie, alors italienne. La Banovine
englobe également les territoires de population
croate en Bosnie-Herzégovine. Son existence éphémère
prendra toutefois fin avec l'éclatement de la
Seconde guerre mondiale, qui touche la Yougoslavie
en avril 1941.
La
Seconde Guerre mondiale
1941-1945
Occupation
allemande et italienne. Le 6 avril, lAllemagne
attaque la Yougoslavie à la suite de la remise
en question du Pacte tripartite signé par le
régent Paul. Le pays est envahi en quelques jours.
Les troupes serbes de larmée royale n'opposent
pratiquement aucune résistance mais se rendent
coupables, après la débâcle, des premiers massacres
de civils, notamment à lencontre de populations
musulmanes et croates en Bosnie-Herzégovine.
Création
d'un Etat croate satellite de l'Axe. Après le refus
de Macek de diriger un État croate satellite de lAllemagne,
les puissances de lAxe installent le 10 avril
à Zagreb un « État indépendant de Croatie »
et placent à sa tête Ante Pavelic, le leader du mouvement
Oustacha, rentré d'exil. Divisé en zones
doccupation allemande et italienne, cet État
comprend toute la Bosnie, mais cède à
lItalie mussolinienne la majeure partie de la
Dalmatie et lIstrie. Le Sabor, non consulté,
est dissous.
Guerre
civile et mondiale. Démembrée, la Yougoslavie est
le théâtre dune sanglante et complexe guerre
qui, sur fond de conflit mondial, oppose à la
fois collaborateurs et résistants locaux, mais également
les tenants d'intérêts nationaux particuliers.
Collaborateurs
croates et serbes. A la politique de terreur menée
par Ante Pavelic, notamment à légard des Serbes
et des opposants (Juifs, Croates), fait écho celle
pratiquée par les tchetniks royalistes serbes
de Draza Mihajlovic à l'encontre des Croates
et des musulmans bosniaques, et ce alors même
que l'un comme l'autre bénéficient du
soutien de lAxe. C'est aussi le cas des unités
fascistes du Zbor, commandés par le Serbe Dimitrije
Ljotic.
Partisans
de Tito. Enfin, les Partisans yougoslaves de Tito,
qui les combattent, bénéficient quant à eux
du soutien grandissant des Alliés. Implantés
essentiellement en Bosnie-Herzégovine et en
Croatie jusqu'à la capitulation italienne, en
1943, ils rassembleront des combattants de toutes nationalités.
Oustachis
et partisans croates. Face à environ 60 000 oustachis
sur lesquels sappuie le régime de Pavelic, la
résistance croate sorganise dès linsurrection
armée du 22 juin 1941.
Celle-ci marque le début dun mouvement dont lampleur
croissante supplantera, en 1943, leffectif
militaire oustachi. Parmi les Partisans de Tito, originaires
de toute la Yougoslavie, les Partisans croates comptent
alors plus de 100 000 hommes et disposent
de leur propre état-major, le ZAVNOH.
Incarnant la « Croatie libre », celui-ci
est dirigé par lécrivain Vladimir Nazor et le
secrétaire général du parti communiste
croate, Andrija
Hebrang, dans le cadre du Conseil populaire antifasciste
de libération yougoslave (AVNOJ) instauré en
1942.
Sur
lensemble du territoire yougoslave, Tito compte
alors quelque 300 000 Partisans, principalement
regroupés en Croatie, Bosnie-Herzégovine et Slovénie,
et répartis en 26 divisions : 11 croates,
7 bosniaques, 5 slovènes, 2 serbes et
1 monténégrine. Après lentrée de lArmée
rouge à Belgrade en octobre 1944 et la dislocation
des forces tchetniks de Mihajlovic, le mouvement des
Partisans prend également de lampleur en Serbie,
jusqualors protectorat allemand administré par
le général et collaborateur serbe, Milan
Nedic. (Voir
aussi La
Résistance en Croatie)
Révolte
de Villefranche. Durant la guerre, un événement
de portée militaire limitée mais singulier se déroule
le 17 septembre 1943, à Villefranche-de-Rouergue : la
« révolte
des Croates », mutinerie contre les
nazis des unités croato-bosniaques enrôlées de force
et stationnées dans le sud de la France occupée.
Pertes
humaines durant la guerre. Le bilan
humain de quatre années de guerre est lourd. La
guerre civile entre partisans communistes, tchetniks
serbes, oustachas croates et bosniaques, d'une part,
et de l'autre, les combats contre loccupant allemand
et italien, causèrent la mort de 1 million de
personnes. Les victimes serbes forment près
de la moitié d'entre-elles, les victimes croates, près
d'un tiers.
Outre
les victimes civiles et militaires des faits de guerre,
ce bilan comprend également les victimes tuées
dans les camps de concentration comme dans les campagnes
d'épuration à la fin de la guerre. C'est
notamment le cas des 50 000 à 100 000
Serbes, Juifs, Tziganes et Croates tués dans
le camp oustachi de Jasenovac
ou des dizaines de milliers de Juifs gazés en
Serbie, premier pays d'Europe déclaré
Judenfrei, en 1941, par l'état-major
nazi.
Ce
fut encore le cas de dizaines de milliers de civils
croates fuyant vers les armées alliées
en Autriche en mai 1945 et massacrés à Bleiburg
par les unités, principalement serbes, des Partisans
yougoslaves, qui se rendirent coupables du plus grand
crime de l'après-guerre en Europe.
La
Croatie dans la fédération yougoslave communiste
1945
La
République populaire de Croatie devient lune
des six composantes de la nouvelle Yougoslavie, dirigée
par le chef de la Résistance yougoslave, le
communiste dorigine croate Josip Broz, dit Tito.
1946
Procès
Stepinac. Proclamation de la République Populaire
Fédérative de Yougoslavie (RPFY). Procès stalinien
du cardinal
Stepinac, défenseur
des Juifs durant loccupation et ardent opposant
à Pavelic, mais partisan de lindépendance de
léglise catholique croate vis-à-vis du PC dirigé
par Tito.
1948
Froid
avec Moscou. Rupture Tito-Staline.
La même année disparaît mystérieusement
Andrija Hebrang, résistant et leader communiste croate,
partisan dune Croatie communiste indépendante,
limogé et emprisonné après la guerre
par Tito.
1950
Début
lexpérience autogestionnaire.
1956
Mouvement
des Non-alignés. Signature à Brijuni (Croatie)
de la déclaration des Non-alignés par Tito, Nehru et
Nasser. Le mouvement réunira, notamment en Asie
et en Afrique, de nombreux pays refusant la logique
binaire de confrontation des deux blocs issus de la
Guerre froide.
1963
La
RFPY devient la République Socialiste Fédérative de
Yougoslavie (RFSY), tandis qu'à l'échelon
inférieur, la "République populaire
de Croatie" cède la place à la "République
socialiste de Croatie".
1966
Purges
et dégel relatif. Après deux décennies
dimplacable répression face à toute manifestation
identitaire croate au sein de la Yougoslavie fédérale,
Aleksandar Rankovic, patron des services secrets et
chef de file des partisans de lhégémonie serbe,
est limogé par Tito. Néanmoins, le rôle
de la Serbie devient de plus en plus dominant dans
les structures fédérales yougoslaves.
Chasse
aux dissidents politiques. A la fin des années
60, on assiste à un relatif assouplissement
de la répression anti-croate mais aussi anti-albanaise
de la redoutable UDB-a. Auparavant, la police politique
yougoslave, s'était rendue responsable de nombreux
assassinats de dissidents croates en exil. Ce climat
hostile ainsi que les conséquences économiques
désastreuses de lexpérience autogestionnaire
poussent de très nombreux Croates à émigrer
vers les pays occidentaux : un tiers des Croates (représentant
70 % de l'ensemble du contingent émigré yougoslave)
vivent désormais hors des frontières de l'ancienne
Yougoslavie.
1967
Déclaration
sur la langue littéraire croate. Exprimant
leur opposition à la politique centralisatrice
du PC yougoslave visant à fondre le serbe et
le croate en un idiome hybride
("serbo-croate") censé préfigurer
l'unité linguistique de la Yougoslavie, les
institutions culturelles croates jettent un pavé
dans la marre en signant une Déclaration sur
lidentité propre de la « langue littéraire
croate ». A la même époque, on assiste
à un véritable renouveau de laffirmation
culturelle de la Croatie à tous les échelons
de la société.
1971
Le
"Printemps croate". Réclamant
davantage de libertés et favorable à
une démocratisation accrue de la société
que prône la direction réformatrice du
PC croate, les étudiants et les ouvriers déclenchent
une grève générale en Croatie.
Tito répond en limogeant la direction communiste
croate (Dabcevic-Kucar et Tripalo). Coupant court à
ses élans réformateurs, il brise net le mouvement populaire
du « Printemps croate ». Victimes de purges
massives, de nombreux intellectuels, étudiants ou journalistes
sont emprisonnés. Parmi eux, Drazen
Budisa, Sime Djodan, Vlado
Gotovac, Stipe
Mesic, Franjo
Tudjman, Marko Veselica, mais aussi Savka Dabcevic-Kucar
et Mika Tripalo, figures les plus éminentes de la contestation.
Vingt ans plus tard, lorsque la Croatie accédera à
lindépendance, elles reviendront sur le devant
de la scène politique.
1974
Assouplissement
de la Fédération. La Yougoslavie
adopte une nouvelle Constitution fédérale accordant
davantage dautonomie aux républiques fédérées.
Leur droit à « lautodétermination jusquà
la sécession » gagné par les armes à
la Libération y est réaffirmé dans son
préambule. Il constituera en 1991 la base juridique
qui autorisera la Croatie, comme la Slovénie,
de proclamer son indépendance.
1980
Mort
de Tito. Josip Broz, dit Tito, chef des Partisans
yougoslaves pendant la guerre, fondateur de la deuxième
Yougoslavie, fédérale et communiste, puis Président
à vie, meurt le 4 mai. Une présidence collégiale
à rotation annuelle est mise en place, permettant à
chaque entité fédérée daccéder à la tête de lÉtat.
La
croisade grand-serbe de Milosevic
1986
La
thèse de la Grande Serbie. S'inspirant des
thèses expansionnistes grand-serbes rétrogrades
- « Nacertanije » [le Plan] (Garasanin, 1844),
« Jusquà lextermination »
(Stojanovic, 1902), « lexpulsion des Arnaoutes »
(Cubrilovic, 1937) ou « la Serbie homogène »
(Moljevic, 1941) - lAcadémie serbe des Sciences
et des Arts rédige le fameux « Mémorandum ».
Texte programmatique justifiant l'hégémonie
de la Serbie sur les autres républiques yougoslaves,
il servira de base idéologique à laction
politique et guerrière du leader serbe, Slobodan
Milosevic, qui parviendra au pouvoir lannée suivante.
Bien que les Serbes ne représentent que 36 % de
la population, le Mémorandum prône la mainmise de la
Serbie sur les deux tiers de la Yougoslavie (Grande
Serbie). Pour les historiens, il porte en germe
les causes de la dislocation yougoslave et de lagression
armée serbe à partir de 1990.
1988/89
La
campagne nationaliste. Par un putsch, Milosevic
abolit lautonomie
du Kosovo et de la Voïvodine, 28 mars 1989, et
place ses partisans à la tête du Monténégro. A ses
ordres, le bloc serbe paralyse ainsi le fonctionnement
de la présidence collégiale yougoslave en s'arrogeant
la moitié des huit voix du collège.
Dans le même temps, la Slovénie et la Croatie font
l'objet d'une campagne nationaliste dune extrême
violence orchestrée par Milosevic. Le 4 mars,
les partisans de la Grande Serbie, dont beaucoup viennent
de Serbie même, organisent avec le soutien de
Belgrade un premier meeting nationaliste à Petrova
Gora, en Croatie. Pour la première fois, on
y entend publiquement scander "Ici, c'est la Serbie".
Et l'on y voit des centaines de nationalistes serbes
arborer des emblèmes tchetniks,
les collaborateurs serbes des nazis, suscitant l'émoi
en Croatie, compte tenu du souvenir pénible
des crimes qu'ils y ont commis durant la Seconde Guerre
mondiale. En juin, un meeting plus important encore
est organisé à Knin.
1990
Scission
au sein de la Ligue communiste yougoslave. Refusant
le diktat de Milosevic en passe de prendre les rênes
de la Yougoslavie, les délégués slovènes et leurs homologues
croates, emmenés par Ivica Racan, claquent la porte
du XIVe congrès de la Ligue communiste yougoslave en
janvier.
Le
SDS, parti démocratique serbe, partisan de la
Grande Serbie, est fondé à Knin (Croatie)
le 17 février, tandis que les meetings ultra-nationalistes
serbes se multiplient en Croatie. Un "état-major
des forces serbes" est inauguré à
Glina le 6 mai.
Premières
élections libres. Le 22 avril et le 6 mai,
les deux tours des premières élections (législatives)
libres depuis lentre-deux-guerres se tiennent
en Croatie. Ne conservant que 105 élus sur 356,
le parti communiste croate d'Ivica Racan est battu
par le HDZ
(centre-droit) de Franjo Tudjman, qui obtient 58% des
sièges au Parlement de la République
socialiste de Croatie. Les partis des Serbes de Croatie
obtiennent quant à eux 23 mandats. Ancien général
de Tito entré en dissidence depuis les années 1960,
Tudjman est élu le 30 mai Président de la République
par le Sabor, désormais restauré
et pluraliste. Le 22
juin est proclamé Jour de la résistance
antifasciste.
Proclamation
de la "Krajina" serbe en Croatie. Le
1er juillet une "région autonome serbe
de Krajina", avec pour "capitale" Knin,
est unilatéralement proclamée par les
séparatistes serbes sur le territoire de 6 communes
à majorité ou forte minorité serbe
(Benkovac, Knin, Obrovac, Gracac, Donji Lapac, Korenica).
Le 8 juillet, le leader du Mouvement serbe du Renouveau,
Vuk Draskovic, appelle Milosevic à "franchir
la Drina" (rivière à la frontière
serbo-bosniaque) car la Serbie "est partout où
se trouvent des tombes serbes".
Suppression
de l'étoile rouge. Un Conseil national serbe,
créé le 25 juillet, adopte une Déclaration
de souveraineté et d'autonomie du peuple serbe
[de Croatie]. Le même jour, la Croatie amende
sa constitution, redéfinit les attributions
de son gouvernement, tandis que l'étoile rouge
et l'iconographie communiste sont supprimées
du blason historique croate,
échiqueté rouge et blanc, qui prend alors
la forme qu'il a aujourd'hui. Le 16 août, les
séparatistes serbes décident de la tenue
d'un "référendum" sur l'autonomie
serbe, du 19 août au 2 septembre, uniquement
dans les 11 communes à majorité
serbe où ne vit qu'un quart des Serbes de Croatie.
Début du conflit. A partir du 17 août,
des groupes séparatistes serbes dressent des
barricades sur les routes dans les environs de Knin,
ainsi que dans dautres régions où la minorité
serbe (12 % de la population de la Croatie
en 1991) est majoritaire ou simplement importante.
Soutenus et armés
par Belgrade et forts de l'appui logistique des
unités de larmée yougoslave stationnées
sur place, ils coupent d'importantes voies de communication
entre le nord et le sud du pays et prennent le contrôle
de vastes territoires. Chaque tentative des forces
de police croate visant à rétablir l'ordre
rencontre systématiquement l'hostilité
dissuasive de l'armée yougoslave, qui officiellement
"s'interpose".
Proposition
confédérale croato-slovène. Le
10 septembre, la Croatie et la Slovénie proposent
un plan commun de transformation de la Fédération
yougoslave en confédération d'Etats souverains,
ultime tentative de sauvetage de la fédération
moribonde. Le même mois, les séparatistes
serbes proclament « lautonomie » des
territoires croates sous leur contrôle. Armés
par la Serbie, ils radicalisent leur action par des
actes de violences et des attentats terroristes. A
partir de la mi-octobre, la Dalmatie est coupée
du reste de la Croatie après le dynamitage de
la voie ferrée qui la relie à Zagreb,
via Knin.
Les
Serbes en Croatie. Le 21 décembre, les séparatistes
serbes proclament unilatéralement et sans l'aval
des autorités nationales une "région
autonome serbe de Krajina"
réunissant onze communes croates rurales à
majorité ou forte minorité serbe, dont
ils ont pris le contrôle avec l'aide et le soutien
de l'armée yougoslave, à majorité
serbe. Cette "région autonome serbe"
est censée s'étendre sur plus de 7000 km²,
soit près de 13 % du territoire croate
(c'est-à-dire la moitié du territoire
qui sera occupé par l'armée et les paramilitaires
serbes, un an plus tard et jusqu'en 1995). Ces onze
communes n'abritent cependant que 195 000 habitants
(4 % de la population), dont 147 000 Serbes
de Croatie - soit un quart de leur nombre total, 582 000.
En effet, la plupart d'entre eux demeurent en dehors
de cette "région autonome" étant
donné que près de la moitié des
membres de la communauté serbe de Croatie (47 %)
résident dans les principales villes croates.
Pourtant, ceci n'empêchera pas, quelques mois
plus tard, l'armée serbe d'en faire la cible
de ses bombardements aveugles, touchant indistinctement
la population urbaine, qu'elle soit croate ou d'origine
serbe.
Nouvelle
Constitution croate. Le 22 décembre,
le Sabor adopte la nouvelle Constitution croate qui,
à l'instar de celle de la République
socialiste de Croatie, jusque-là en vigueur,
prévoit également la possibilité
de recourir à lindépendance. On
peut y lire notamment que "La République de
Croatie se constitue comme État national du peuple
croate ainsi que de ses citoyens membres d'autres peuples
et minorités : Serbes, Musulmans, Slovènes,
Tchèques, Slovaques, Italiens, Hongrois, Juifs et autres,
auxquels est garantie l’égalité avec les citoyens de
nationalité croate, de même que le respect de
leurs droits nationaux conformément aux normes
démocratiques qui sont celles de l’ONU et des Etats
du monde libre".