Le
Monde, 17/07/2000
Succession
La
Croatie a tourné la page « Tudjman », avec une étonnante rapidité. La
mort, le 10 décembre 1999 , des suites d'un cancer, du « père de l'indépendance
croate », Franjo Tudjman, a été suivie d'une débâcle électorale pour la formation
qu'il dirigeait d'une main de fer, le HDZ (Union démocratique croate). La perspective
de sa succession avait déjà mis à jour de profondes dissensions au sein du HDZ.
Les électeurs ont confirmé ce virage en portant triomphalement au pouvoir une
coalition regroupant, autour des libéraux et des sociaux-démocrates, les six principaux
partis d'opposition.
Aux législatives
du 3 janvier 2000, cette coalition a remporté 96 des 151 sièges au Parlement offrant
au social-démocrate, Ivica Racan, le poste de premier ministre. Le 7 février,
le centriste Stipe Mesic - dernier président (en 1991) de la Yougoslavie héritée
de Tito et président du petit Parti populaire - enlevait haut la main la présidentielle
avec 56,21 % des voix face au libéral Drazen Budisa (43,79 %), lui aussi
membre de la nouvelle majorité de centre gauche.
Symbole
de l'effondrement de l'ancienne équipe, le candidat HDZ, Mate Granic, n'a pas
franchi le premier tour. Le mécontentement à l'égard du HDZ qui monopolisait le
pouvoir depuis 1991 était avant tout d'ordre social. La Croatie est, en effet,
entrée en récession. Après des années de forte croissance (6 % en moyenne
de 1995 à 1997), le PIB devait chuter de 2 % en 1999. Selon des experts étrangers,
le taux de chômage toucherait près de 30 % de la population active, contre
19 % officiellement.
La Croatie
a, certes, connu des difficultés particulières. Une commission gouvernementale
a estimé, en novembre, les dommages de la guerre serbo-croate à 37 milliards de
dollars. Mais le pays a surtout payé, en 1999, les conséquences d'une crise bancaire
qui avait culminé avec la faillite de la Banque de Dubrovnik. Cet épisode a révélé
les tares d'un système de privatisation mis en place quelques années plus tôt
à seule fin d'alimenter la guerre que les Croates d'Herzégovine menaient contre
les musulmans de Bosnie et qui ne servait qu'à l'enrichissement d'un lobby proche
de la présidence, celui des « Herzégoviniens ». Le gouvernement a été
contraint de mobiliser une partie de ses ressources budgétaires pour couvrir les
pertes et six établissements bancaires sont en faillite.
Se sont
superposés la crise en Russie, le ralentissement de l'activité en Allemagne et
la guerre au Kosovo. Ce dernier événement a fait chuter les recettes touristiques,
seules sources importantes de devises étrangères. Zagreb estime avoir perdu entre
500 millions et 1,4 milliards de dollars. Le déficit commercial a atteint 4,15
milliards de dollars. L'inflation est restée sous contrôle (4 %).
La Croatie
ne pourra pas compter avant plusieurs mois sur le soutien du FMI qui refusait,
en novembre 1999, de poursuivre les discussions pour un prêt de 300 millions de
dollars. L'arrivée au pouvoir d'une nouvelle équipe aux orientations pro-européennes,
soucieuse de promouvoir les valeurs démocratiques et de collaborer avec le Tribunal
pénal international de la Haye, a été unanimement saluée par les capitales occidentales.
On peut s'attendre à ce que les aides bloquées durant les denières années Tudjman
repprennent la route de Zagreb. Au lendemain des élections, l'Union européenne
a relancé sa coopération avec la Croatie alors que ce pays était avec la Serbie,
le seul Etat de l'ex-Yougoslavie, exclu des programmes de coopération de Bruxelles.
Christophe
Châtelot
|