Le
Monde,
9/05/1995
REVUE
DE PRESSE
Des observateurs
internationaux démentent les accusations de l'ONU contre
l'armée croate
Diplomates,
journalistes et membres du CICR enquêtent sur l'attitude
des troupes de Zagreb
par Florence
Hartmann
Journalistes, membres du Haut-Commissariat
des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de
la Croix-Rouge ont longuement enquêté dans les territoires
de Slavonie occidentale repris aux milices serbes de Croatie par
l'armée de Zagreb. Pour autant qu'elles puissent être
définitives, leurs conclusions contredisent celles récemment
formulées par le Conseil de sécurité de l'ONU
qui avait accusé l'armée croate d'avoir commis de
multiples exactions.
Observateurs européens,
officiers de l'ONU et représentants d'organisations humanitaires,
tout le monde était sur le terrain, samedi 6 mai,
pour vérifier, de village en village, si les troupes croates
qui ont lancé, le 1er mai, une offensive qui a permis à
Zagreb de reprendre le contrôle des territoires de Slavonie
occidentale aux mains des milices séparatistes serbes depuis
1991, avaient vraiment agi dans le respect des lois internationales,
comme l'affirme la Croatie.
Rarement une opération militaire dans l'ex-Yougoslavie
que ce soit en Bosnie ou en Croatie aura été ainsi
scrutée dans ses moindres détails. Mais cette surveillance
au plus près, qui visait surtout à démonter
la « propagande croate », a finalement
eu l'effet inverse : celui de dévoiler le mélange
d'incompétence et de manipulations qui caractérise
depuis longtemps l'attitude des Nations unies dans l'ex-Yougoslavie.
Accompagné d'un traducteur, l'ambassadeur
britanique, Gevin Hewitt, s'est rendu en Slavonie occidentale
pour enquêter sur les événements de ces derniers
jours. Après avoir interrogé, tout au long de la
journée, de nombreux témoins, il a déclaré
à quelques journalistes français rencontrés
dans les rues de Pakrac que « l'armée et la police
croates se sont comportées très correctement
». Et de préciser : « La différence
est très grande avec 1991 [lors de la guerre serbo-croate],
c'est pour moi étonnant. » M. Hewitt s'est déclaré
« très surpris par les informations des Nations unies
à Zagreb » faisant état de pillages et d'exactions
: « Il y a peut-être eu des pillages occasionnels,
mais rien d'organisé. »
En laissant circuler et travailler librement diplomates
et journalistes, la Croatie a voulu apporter la preuve que les
accusations de l'ONU avaient souvent été erronées.
Le patron des « casques bleus » dans l'ex-Yougoslavie,
le général français Bernard Janvier, basé
à Zagreb, a lui-même reconnu, lors d'une tournée
d'inspection dans la région, n'avoir recueilli «
aucune information sur des pillages et des exactions
». Sur le traitement infligé aux prisonniers serbes
dont l'arrestation par les troupes croates, jeudi 4 mai, à
Pakrac, avait provoqué une vive réaction des Nations
unies et une condamnation du Conseil de sécurité
pour violation des droits de l'homme, le général
Janvier a expliqué : les civils et les soldats, de seize
à soixante-cinq ans, emmenés dans trois centres
de détention au nord-est du pays pour interrogatoire, «
ont été bien traités ».
« Il n'y a aucun constat d'anomalies », a-t-il
ajouté, confirmant ainsi des rapports émanant des
observateurs de la Communauté européenne qui avaient
suivi les prisonniers jusqu'aux centres de détention.
Rarement
une opération militaire dans l'ex-Yougoslavie aura été ainsi
scrutée dans ses moindres détails. |
D'éventuels dérapages de la part
des Croates ne devraient pas pouvoir échapper longtemps
aux instances internationales : le CICR (Comité international
de la Croix-Rouge) a demandé explicitement à chaque
prisonnier serbe de témoigner sur ses conditons de détention
dès sa libération. Jovan Ceric, un Serbe de soixante-trois
ans, qui a informé Le Monde sur cette directive du CICR
alors qu'il venait de rentrer chez lui, à Pakrac, a assuré
avoir été « fouillé, nourri et
correctement interrogé ». Les deux dirigeants
sécessionnistes serbes de Pakrac, qui ont été
relâchés après une courte détention,
n'ont pas non plus eu à se plaindre du traitement que leur
avaient réservé les autorités croates. Obrad
Ivanovic et Veljko Djakula, le maire autoproclamé de la
partie serbe et le chef du Parti indépendantiste serbe,
circulent aujourd'hui librement à Pakrac ; leur maison
est protégée par la police croate, quelques soldats
de l'ONU et des observateurs européens.
Les autorités de Zagreb ont donné
ordre de rétablir le plus rapidement possible des conditions
de vie normales dans la zone. Ainsi des ouvriers vérifiaient,
samedi, l'état des réseaux électriques dans
chaque maison habitée par les Serbes qui sont restés.
Démentie par les observateurs internationaux
et par les officiers de sa force de protection dans l'affaire
des prisonniers de Pakrac, l'ONU n'a pas pour autant abandonné
l'idée de prouver que la Croatie « ne valait
pas mieux que les autres » (belligérants). Dimanche,
elle récidivait donc. Son porte-parole, Christopher Gunnes,
accusait en conférence de presse, à Zagreb, l'armée
croate d'avoir pris pour cible des colonnes de civils serbes fuyant,
en direction de la Bosnie, les combats de Slavonie occidentale.
Il a ajouté que des rapports « faisaient état
de nombreuses victimes ». Cette grave accusation était
fondée sur des témoignages non vérifiés
émanant de réfugiés serbes et qu'il a qualifiés
de « fiables et concordants ». Il devait
être démenti quelques instants plus tard par l'agence
humanitaire de l'ONU, le HCR et le CICR. « Nous n'avons
aucun rapport de blessés serbes » dans les régions
de Bosnie où se sont réfugiés les habitants
de Slavonie occidentale, constatait Mnas Nybir, le porte-parole
du HCR à Zagreb. Marco Weil, son homologue du CICR, démentait
à son tour des allégations de l'ONU en disant explicitement
qu'elles étaient « fausses ». Joint
par télépnone dans l'après-midi, le chef
du HCR à Banja Luka, dans le nord-ouest de la Bosnie, déclarait
: « A mon avis, les faits n'ont pas eu lieu, nous n'avons
aucun rapport de blessés. D'autre part, des civils serbes
seraient encore cachés dans les bois près de la
rivière Save et passeraient chaque jour à la nage
pour rejoindre la Bosnie sans être soumis à des tirs
du côté croate ».
De son côté, un expert militaire
occidental qui, tenu par son devoir de réserve, a requis
l'anonymat, précisait : « Cette histoire de bombardement
de civils lancée par l'ONU est totalement fausse. Il y
a, en effet, eu des actions aériennes contre le pont, à
la frontière croato-bosniaque, mais dans un but stratégique
et avec peut-être des victimes civiles, mais je ne crois
pas à des tirs intentionnels contre des colonnes de civils
comme l'a présenté M. Gunnes. »
S'agit-il d'incompétence ou de manipulation
? Un mélange des deux, répondent les diplomates
occidentaux. Une chose est sûre : l'ONU n'a pas apprécié
que l'armée croate réalise en trente et une heures
(durée de l'offensive éclair) ce qu'elle n'a, elle-même,
pas réussi en trois ans de présence en Croatie.
En effet, le nouveau mandat de l'ONU dans ce pays, reconnu dans
ses frontières internationales, consiste à remplacer
sa force d'interposition déployée en 1992 par une
force limitée et chargée de rétablir physiquement
la souveraineté de la Croatie sur l'ensemble de son territoire
dont 20 % sont occupés par les milices serbes indépendantistes.
Et cela par un contrôle de ses frontières et le déploiement
d'observateurs et de policiers militaires devant permettre le
retour des réfugiés et le respect des droits des
populations serbes de Croatie.
F.H.
|