Le
Monde, 22/06/2000
TOURISME
ET CULTURE
La Dalmatie, d'îles
en villes
De
Split à Dubrovnik, le littoral croate égrène ses joyaux naturels
et culturels, qui ont pour nom Brac, Hvar, Korcula
Danielle Tramard
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Sphinx
égyptien au pied d'une arcade du péristyle du palais de Dioclétien
à Split. |
Au creux
de la baie, la ville ancienne, frangée de parasols et de palmiers.
Derrière elle, les sommets blanchis, pelés, des collines accablées
de chaleur. Split : 28°. Les chiens tirent la langue, leurs maîtres
lapent des glaces.
Depuis
des siècles, ô surprise, des gens ont installé leurs pénates
dans le patrimoine mondial de l'humanité. Comprenez le palais de Dioclétien.
Le portique sous lequel l'empereur se promenait est devenu immeuble d'habitation.
Fleurs aux fenêtres, linge sur un fil, commerces en rez-de-chaussée.
Le persécuteur des chrétiens ne s'installa pas ici par hasard :
des sources sulfureuses jaillissent dans les thermes de Marmontova Ulica, ainsi
nommé en souvenir du maréchal d'Empire Marmont, qui gouverna un
temps la place.
Puissance
des murs romains, délicatesse des palais vénitiens - Papalic ou
Milesi - de Subica Ulica et de la Procurativa. Son nom, place de la République,
ne rend pas justice à ses belles proportions, au rythme des fenêtres
geminées, à l'immense portique ouvert sur le large. Le soir, on
se promène devant les terrasses bruissantes des cafés du front de
mer. La nuit tombe sur les sphinx de Dioclétien et les lions de Venise.
Tandis que
l'île de Brac est la plus naturelle des beautés dalmates, Hvar est
l'île de la lavande et de la douceur de vivre.
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La Venise
des Balkans s'étend bien au-delà du mont Marjan, provinciale avec
ses avenues ombragées, petit Manhattan vers l'Orient. A l'horizon, l'île
de Brac (prononcer bratch), la plus naturelle des beautés dalmates. Ile
sans villes, bourgs anciens éloignés des côtes, à cause
des pirates. Les routes serpentent à travers les forêts de pins et
de cyprès mêlés ou à travers la garrigue. Les maisons,
en pierre blanche marmoréenne, étincellent. Une pierre qui fit,
notamment, le palais de Dioclétien et la Maison Blanche. Les bourgs ont
du caractère. Témoin Skrip, dominé par l'église Sainte-Hélène
- la mère de l'empereur Constantin serait née ici -, robuste église
XVIIIe toute simple (clef auprès de Maria, la vieille femme en robe sombre
et chignon, qui tient le musée). Ou Bol, station estivale et plus jolie
plage de Croatie. Dans le couvent des dominicains, une Vierge parmi les saints,
du Tintoret qui, en 1563, peignit cette toile pour remercier les moines de leur
hospitalité.
CARNET DE ROUTE |
Repères
Fleuron de la Croatie (78 % de Croates, 76,5 % de catholiques), la côte
dalmate conjugue un patrimoine architectural exceptionnel, des traditions vivantes,
une nature préservée, une mer limpide et un climat méditerranéen
aux saveurs authentiques. Routes excellentes, liaisons quotidiennes inter-îles,
prix raisonnables (sauf à Dubrovnik) et conversion aisée (1 kuna
= 1 F).
Vols
Croatia Airlines (tél.
: 01-42-65-30-01) : Paris-Split (2 heures) quotidien sauf samedi, direct jeudi
et dimanche ; Dubrovnik-Paris, idem, direct le dimanche, 2 375 F (362 €)
le billet circulaire.
Ferries
Préférer la ligne qui va de Rijeka, au nord, à Dubrovnik,
au sud, en passant par Zadar, Split, Hvar et Korcula (4 rotations par semaine
en saison). Dix bacs/jour relient Korcula à Orebic.
Visites
Brac : monastère XVIIIe de Blaca (réserver un guide à l'office
de tourisme au 00-385-21-63-05-51). Korcula : monastère franciscain du
XIVe sur l'île de Badija.
Hébergement
Chambres chez l'habitant (sobe) à partir de 100 F (15 €) sur
les îles, de 120 F (18 €) à Dubrovnik. Les hôtels
vont être privatisés à la fin de la saison et se mettre aux
normes internationales. Ils pratiquent volontiers la demi-pension. Split : le
Bellevue (à rénover) pour son architecture et sa situation. Hvar
: le Palace, impeccable, agréable, balcon en pierre, porte-fenêtre
à persiennes et vue imprenable pour les chambres 401 à 403. Korcula
: le Korcula (à rénover), belle terrasse sous la treille, face à
la mer, préférer les chambres au premier. A Dubrovnik, privilégier
les hôtels à façade sur la mer, à l'ouest de la vieille
ville, qu'ils contemplent, tels la Villa Dubrovnik, exceptionnelle, l'Excelsior,
excellent, la Villa Orsula, bien mais prix excessifs ; l'Argentina, magnifiques
jardins en terrasses, sera rénové, de même que la Villa Shéhérazade,
un bijou architectural. Hôtels de plage sur les îles.
Restauration
Méditerranéenne, authentique : légumes et fruits proviennent
des jardins, le poisson est pêché de frais. A Bol, sur l'île
de Brac, Trattoria Riva. A Hvar, Garifuli (salade de poulpe, poisson grillé,
blettes fondantes). A Korcula, Petar Kanavelic. A Dubrovnik, Kamenice, fréquenté
par les Ragusins, place Gundulic, spécialités locales savoureuses
(petite friture, salade, verre de vin, 45 F, 6 €).
Voyagistes
Spécialistes : Bemextours (tél. : 01-46-08-40-40) et Croatie Tours
(01-46-67-39-10) : à la carte et Festival de Dubrovnik. Egalement, Europauli
(01-42-86-97-04), Havas Voyages Vacances (0803-817-000), Nouvelles Frontières
(tél. : 0825-000-825). Locations de villas : Interhome (tel : 01-53-36-60-00.)
Guides
Croatie (Gallimard), par des érudits croates. Sur place : Korcula, d'Alena
Fazinic. Mme Pave Brailo (tél. : 00-385-20-413-156) fait découvrir,
en français, un Dubrovnik insolite.
Renseignements
Office du tourisme croate,
48, avenue Victor-Hugo, 75016 Paris, tél. : 01-45-00-99-55.
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Hvar
(prononcer khvar) est l'île de la lavande et de la douceur de vivre. Quadrillée
de murets de pierre sèche retenant la terre et la vigne. Ne pas commettre
l'erreur de croire que la pierre des maisons vient de Brac. « De Hvar »,
rectifie-t-on, offensé. Et de concéder que celle de Brac - « une
île de bergers » - est plus blanche.
Cette beauté
sophistiquée est fière de ses deux forteresses - celle de la République
de Venise et celle de Napoléon -, de sa cathédrale, sa grand-place
et de son délicieux petit théâtre de 1612 - parquet qui grince,
plafond bas, loges vieux rose et, merveille, un décor de scène peint.
On y donne des représentations, devant un public réduit, car sa
structure fragile a grand besoin d'être restaurée.
Le charme
des rues médiévales et Renaissance opère. Pour s'y retrouver,
on vous dira de repérer les fenêtres ogivales XVe, les maisons à
blason XVIe et les ornements baroques XVIIe. Sans parler de l'admirable calvacade
de toits tuilés et de maisons en pierre, non jointoyées pour les
plus anciennes. Sur le port, les mouettes gémissent à satiété.
Incroyables mouettes. Au début, à Split, on cherchait des yeux le
malheureux enfant qui pleurait avec tant de constance.
UN BRIC-À-BRAC
ÉMOUVANT
Korcula
a de quoi faire se pâmer les foules. Enfermée entre ses tours comme
un poing tendu dans la mer. Son plan est d'une simplicité biblique : un
axe principal nord-sud, en dos d'âne, d'où descendent des ruelles
en arêtes de poisson, droites à l'ouest pour accueillir les alizés
rafraîchissants, courbes à l'est pour faire barrage aux vents glacés.
Korcula
est vraiment très catholique. Ce particularisme se manifeste, lors des
fêtes liturgiques, par les processions qui marquent la continuité
d'une tradition transmise de père en fils jusqu'au XXIe siècle :
44 dans la ville de Korcula, 102 sur l'île. Trois confréries y officient
: Tous les saints, fondée en 1301, Saint-Roch en 1575, Saint-Michel
en 1603. Chacune a des droits, et des devoirs, dont celui de préserver
les traditions en langue croate. La confrérie de Saint-Michel est
chargée de l'ordonnancement de la procession du vendredi saint. Celle de
Saint-Roch porte la statue du Rédempteur pour celle de Pâque.
La salle
de la confrérie de Saint-Michel renferme, en un bric-à-brac
émouvant, cierges peints du XVIIIe - le plus lourd pèse 76 kg -,
fanals, crosses, candélabres, tous objets que l'on promène dans
les rues. Celle de la confrérie de Tous les saints est le Musée
des Icônes. Un passage sur la rue conduit à l'église où
l'on tombe en arrêt devant un polyptyque du peintre dalmate Blaz Jurjev
de Trogiranin (1438-1439).
On
est membre de père en fils. « On y entre dès qu'on est
en âge de marcher et on y reste jusqu'à la mort », note
simplement Stanka Kraljevic. Toutes les familles catholiques appartiennent à
une confrérie, les hommes comme membres actifs, les femmes en tant que
membres passifs, préparant, cousant, repassant. Seuls les hommes sont comptabilisés.
Trois confréries, chacune de cinq cents membres, autant de femmes « passives »,
une population de 3 200 âmes : le compte est bon.
Dubrovnik,
c'est une rue, Stradun, rectiligne, sol luisant, façades à persiennes
à demi soulevées et, dégringolant, glissant vers elle, d'étroites
ruelles. Liez tout cela d'une couronne de remparts, posez des tours en parfait
état et le charme opère.
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La cathédrale
Saint-Marc, construite en un siècle, le XVe, est le prodige architectural
de Marko Andrijic, qu'il s'agisse de la coupole octogonale avec loggia coiffant
le campanile, du ciborium ou de la rosace de la façade. A son côté,
dans un cadre délicieusement suranné, le Musée du trésor
abbatial : Madonne de 1438, chef-d'oeuvre du même Blaz Trogiranin, dessins
de Raphaël, Léonard de Vinci, Tiepolo.
Un quart
d'heure en bac jusqu'à Orebic, sur la péninsule de Peljecac, 2 h 30
de route et Dubrovnik se lève, au sens propre, à l'horizon. Dubrovnik,
c'est une rue, Stradun, qui la fend de part en part. D'une porte à l'autre.
Rectiligne, légèrement rétrécie à l'est, sol
luisant, façades à persiennes à demi soulevées et,
dégringolant, glissant vers elle, d'étroites ruelles. Liez tout
cela d'une couronne de remparts, posez des tours en parfait état et le
charme opère.
Chacun
y a ses quartiers. Les touristes vont au nord ? Optez pour le sud. Courez
place Gundulic où, le matin, a lieu le marché - petites dattes enfilées
en couronnes parfumées, herbes odorantes et pêches juteuses sur les
étals de paysannes souriantes.
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Vue
sur la vieille ville de Dubrovnik. |
Montez
une volée de marches et pénétrez dans l'église Saint-Ignace
- baroque délirant inspiré du Gesù, à Rome - puis,
à droite, vers le Grenier à blé. Comme les remparts, il atteste
le statut, la puissance d'une cité dont les navires sillonnaient les mers
- Shakespeare n'évoque-t-il pas, dans Le Marchand de Venise, un bateau
construit « à la façon de Raguse » ?
-, de même que les palais et oeuvres d'art qui emplissent églises
et monastères sont des signes non équivoques de sa richesse et de
sa stabilité. Sous les voûtes du monastère dominicain, les
toiles de Nikolo Bozidarevic, datées 1485 et 1513, fines bouches, doux
yeux rêveurs. Rappel d'autres chefs-d'oeuvre, à Brac, Hvar et Korcula.
Et, pourquoi pas, Ravenne ou Venise.
DANIELLE
TRAMARD
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