La Croix, 27/05/2000

REPORTAGE
Dubrovnik la rescapée attend d'être revisitée
Huit ans après son siège par l'armée serbo-yougoslave, Dubrovnik a retrouvé sa splendeur passée, mais pas tous ses habitants ni ses touristes de naguère.

DUBROVNIK
Michel Kubler, envoyé spécial

Saint Blaise a veillé sur sa ville. A peine franchie la porte Pile, d'où l'évêque bénit un antique pont-levis, le mur intérieur des remparts de Dubrovnik affiche un plan de la cité : non pour guider le touriste, mais pour lui rappeler quand, où et comment elle fut blessée, et son existence même menacée. Et le visiteur de constater, d'une part que les dégâts sont restés somme toute limités, d'autre part qu'ils sont aujourd'hui très largement restaurés. Plus de peur que de mal, donc, pour une ville que le monde tremblait de voir rayée de la carte et de l'histoire. Les multiples statues de l'évêque barbu _ ici nommé plutôt Vlaho _ constituent désormais autant d'ex-voto. Que dit cette carte d'entrée ? Que l'ancienne Raguse rivale de Venise, la belle Dubrovnik qui fut deux siècles durant République aristocratique (avant que Napoléon l'ait prise), ce trésor de pierre d'or placé depuis 1979 sous la protection de l'Unesco, s'est trouvée assiégée pendant un an et arrosée de tirs de mortiers par l'armée yougoslave du haut des collines qui l'enserrent face à la mer (lire encadré). Par dizaines, les vieux toits de tuile ont été crevés, plusieurs bâtiments médiévaux ont brûlé. Les « shrapnels » ont laissé quelque 2 000 impacts de balles sur les murs.

Le mal qui pouvait être réparé (la carte ne compte pas les personnes tuées ou blessées) l'a, dans l'ensemble, été. Dubrovnik a retrouvé son charme passé, dont nul ne saurait se lasser. Ses couvents du XIIIe siècle sont bien là, Saint-François et Saint-Dominique avec leurs cloîtres romans à la végétation luxuriante, ou Sainte-Claire reconvertie en un charmant restaurant. Les palais baroques ont gardé leur majesté, tel celui des Recteurs (gouverneurs) de la ville, escaliers monumentaux et salles rococos, ou le Palais Sponza, synthèse entre Renaissance et gothique où s'abritent désormais les archives de Dubrovnik. Sans parler d'une foule d'autres sanctuaires, des tours et des fontaines, et des trésors artistiques accessibles à chaque détour de ruelle. Sans dire un mot de ces remparts fantastiques, qui permettent à la fois de dominer la ville et d'en mesurer tant l'enfermement sous les collines que l'ouverture maritime...

Reconstruction

A parcourir la Placa, cette artère principale qui fait battre le coeur de la cité, on ressent le bonheur conjugué de la beauté préservée et de la paix retrouvée. Une harmonie qui n'a pas de prix, et dont on voudrait prolonger la rare intensité. Mais, à rencontrer les gens du cru, on saisit que la peur n'a pas encore disparu. Non chez les habitants actuels de la perle croate, certes. Mais auprès de ceux qui l'ont fuie, et des touristes qui craignent toujours d'y revenir.

Ecoutons, par exemple, Mgr Zelimir Puljic. Ce Croate de Bosnie, lointain parent de son homonyme archevêque de Sarajevo, est devenu évêque à Dubrovnik en 1990 : un diocèse de 90 000 âmes (« l'équivalent d'un doyenné parisien », sourit-il), à 85 % catholiques. Dix ans qui, dit-il, lui ont fait vivre déjà quatre âges différents : « La fin de la dictature, la mise en place de la démocratie, l'agression et les années de plomb, et enfin la reconstruction. » Cette dernière phase, qui correspond à la paix retrouvée, n'est pas la plus facile à mettre en oeuvre. « Il faut réussir un relèvement à tous les niveaux, moral et spirituel autant que social et économique, poursuit Mgr Puljic. La guerre est finie, mais le mal n'a pas disparu. Simplement, il se présente sous de nouvelles formes, en Croatie comme dans toute l'Europe. Les blessures restent à vif dans la population, qui nourrit encore de grandes insatisfactions. » Pas de famille, ici, qui n'ait été touchée de quelque manière par la guerre. Personne, à Dubrovnik, qui ne juge la situation catastrophique.

CES MOIS-LÀ
Début octobre 1991, l'armée « yougoslave », formée essentiellement de soldats serbes et monténégrins, assiège Dubrovnik, à l'extrême pointe sud-ouest de la Croatie, sur la côte adriatique. La ville compte alors près de 50 000 habitants, quasiment tous Croates, et constitue le centre culturel et économique de la Dalmatie, sans enjeu militaire majeur autre que son voisinage immédiat avec le Monténégro et la Herzégovine. Durant six mois, du haut des collines qui entourent la ville, et tout en bloquant l'accès maritime, les forces de Belgrade bombardent le centre historique, classé au patrimoine mondial par l'Unesco. Elles ne lèveront le siège qu'en octobre 1992, après la reconnaissance de l'indépendance de la Croatie par nombre d'Etats. (...)

Personne, à commencer par Pave Zupan-Ruskovic. Cette femme énergique est ministre du tourisme dans le nouveau gouvernement croate. Consciente des ressources formidables de son pays en matière de patrimoine naturel et culturel, particulièrement sur la côte dalmate, elle est hantée par ce lamentable constat : en 1990, avant la guerre, Dubrovnik avait accueilli plus de 600 000 touristes (dont près de deux tiers d'étrangers) pour un total de 3,3 millions de nuitées ; en 1999, ces chiffres (de source officielle) ont été de 130 000 et 500 000, soit respectivement 20 % et 15 % des chiffres d'« avant ». Objectif avoué du gouvernement : parvenir cette année aux 50 %... Le but est loin d'être atteint. Pour des motifs techniques et, surtout, psychologiques. Les infrastructures d'accueil ne sont pas toutes remontées à leur niveau quantitatif antérieur, ni même rétablies : nombre d'hôtels, dans la ville et sa périphérie, n'ont pas encore été reconstruits. L'esprit d'entreprise ne va pas de soi quand les mentalités restent marquées par une gestion collectiviste, en même temps que les prix ne sont plus aussi accessibles que sous Tito ! Enfin, une partie de la population de Dubrovnik était partie par la mer, au début du siège, se mettre à l'abri dans la famille ou dans des hôtels de la côte : près de 3 000 d'entre eux demeureraient ainsi réfugiés, attendant que leur maison redevienne habitable mais privant en même temps la région de leur force de travail.

Comment expliquer ces défaillances ? C'est ici, selon Pave Zupan-Ruskovic, qu'intervient la psychologie des touristes étrangers : « Beaucoup font l'amalgame entre Dubrovnik et l'actuelle Yougoslavie. Le conflit du Kosovo contribue nettement à cette confusion, et freine ainsi la relance économique et touristique. Jusqu'à il y a dix ans, les gens avaient l'habitude de venir en Yougoslavie : il faut qu'ils sachent revenir, mais c'est en Croatie ! » La ministre reconnaît dans le même temps que l'aide étrangère n'a pas manqué pour une cité si réputée : « Beaucoup d'institutions se sont mobilisées pour la rénover, dont, bien sûr, l'Unesco », même si l'argent manque pour reconstruire tout ce qui a été endommagé : écoles, églises...

"Ville-harmonie"

On peut dire néanmoins que, depuis 1995, les choses fonctionnent de manière à peu près normale dans la ville et sa région. Une simple visite peut le prouver. Et, si besoin était, écouter Rina suffirait. Cette enfant de Dubrovnik vit actuellement au Canada _ parce que son mari est de là-bas _ mais, à la croiser sur les remparts lors d'une visite à sa mère, on sent sa nostalgie monter en même temps que son regard balaie le berceau natal, de la montagne à la mer... « J'ai vécu tout le siège ici, sans eau ni électricité et presque rien à manger, mais jamais sans espoir. » Même si l'avenir était incertain, même si on ne s'habitue jamais à voir son voisin tué alors qu'il était sorti fumer une cigarette...

Les nerfs de la mère de Rina ne se sont jamais remis des ces mois d'exposition permanente à la mort. Sa fille, elle, se dit prête à revenir vivre ici. Même si l'économie redémarre difficilement. Par amour de la beauté de Dubrovnik, ce doigt si délicat, posé sur l'Adriatique, que des ennemis ont sauvagement voulu amputer alors qu'il n'a nul intérêt stratégique. C'est décidé : Rina va s'acheter une maison blottie dans les remparts de cette « ville-harmonie », pour y installer à son tour sa famille.

Harmonie, c'est aussi le nom qui traduit le mieux, pour Mgr Puljic, l'histoire et l'avenir de la cité : « Dubrovnik est la ville à la fois typiquement méditerranéenne, médiévale et européenne. Si elle a traversé les siècles et les guerres, c'est parce qu'elle a été bâtie non seulement avec le souci de cette harmonie architecturale qui fait tout son charme, mais aussi avec une grande ténacité et, toujours, le souci de former une communauté soudée. » L'évêque a toujours été convaincu que le mal ne pourrait jamais l'emporter face à une telle unité. Mais il faut désormais bâtir l'avenir. Pour Mgr Puljic, cela ne se fera qu'avec l'Europe : « C'est le bombardement de Dubrovnik qui a secoué l'Europe pour intervenir. En retour, l'Europe ne pourra pas mourir tant que nous serons vivants ! »

 

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