11/05/2000
La France accueille
le président croate
Le Président Stipe Mesic en visite officielle
à Paris
Allocution
prononcée par M. François Huwart, Secrétaire
dÉtat en charge du Commerce extérieur à loccasion
du dîner offert au Quai dOrsay par M. Hubert Védrine,
Ministre des Affaires étrangères en lhonneur
du Président de la République de Croatie et de Madame
Stjepan Mesic.
Monsieur
le Président de la République,
Madame,
Mesdames et Messieurs,
En vous souhaitant, à votre épouse et à vous-même, la bienvenue
à Paris, je voudrais en quelque sorte souhaiter aussi une chaleureuse
bienvenue à la « nouvelle Croatie » : en effet
votre pays a pris, au seuil du nouveau millénaire, un nouveau
départ que la France et lensemble de ses partenaires européens
saluent aujourdhui.
Les
élections législatives puis votre élection, Monsieur le Président,
à la magistrature suprême le 7 février dernier, ont témoigné dune
authentique volonté de changement démocratique et dune remarquable
maturité. Votre pays a choisi, avec beaucoup de sagesse, de tourner
la page et de laisser derrière lui sans les oublier pour
autant les années sombres, les années dune guerre
tragique qui a déchiré une partie de lEurope et marqué tout
notre continent.
En
assurant de façon exemplaire, par la voie des urnes, lalternance
politique, vous avez montré la voie à dautres États de la
région. Vous même, et lensemble des forces politiques rassemblées
au sein de la coalition dopposition, avez envoyé un message
fort aux pays qui vous entourent. Vous leur avez dit : « le
pire peut être évité », la persévérance, la volonté de changement
et douverture peuvent lemporter ; il ny a pas
de fatalisme de la désunion, de lisolement, encore moins
de lexclusion pour les peuples qui formèrent « la Yougoslavie »
; il existe une autre voie que celle du repli « national »
et cette voie, cest celle de la réconciliation au sein de
lEurope.
Puissent
tous ces messages être entendus et médités aujourdhui en
Bosnie-Herzégovine, en Serbie, au Kosovo, partout où des élections
doivent donner la parole aux peuples européens : quils choisissent
enfin de suivre votre exemple et de tourner le dos à la logique
de laffrontement et du nationalisme.
* * *
Vous
êtes en quelque sorte, Monsieur le Président, à limage de
la Yougoslavie moderne issue de la seconde guerre mondiale. Votre
famille fut elle aussi victime de la répression menée par les
Oustachis, alliés aveugles du régime nazi ; mais comme de nombreux
autres Croates qui refusaient lassimilation culturelle,
vous avez pris part en 1971 au « printemps croate »,
ce mouvement de révolte contre le totalitarisme centralisateur
de Belgrade, ce qui vous valut dêtre emprisonné pendant
un an dans les geôles fédérales. En 1989, au moment du grand « dégel
est-européen », vous avez participé avec Franjo Tudjman à
la fondation de lun des premiers partis non communistes,
le HDZ, qui remporta lannée suivante les premières élections
multipartites en Croatie. Cétait déjà la mort, dans les
faits, de la Yougoslavie de Tito qui ne survivra que quelques
mois : vous en serez, de juillet à octobre 1991, léphémère
et dernier président de la République, à lheure où débute
la terrible guerre qui ensanglantera la Croatie et la Bosnie-Herzégovine.
Fidèle à vos idéaux réformateurs, vous saurez vous opposer plus
tard au Président Tudjman lorsquun désaccord fondamental
sur la guerre de Bosnie-Herzégovine vous éloigne définitivement
de lui en 1994. Vous rejoindrez alors le HNS, la parti populaire
croate, qui sopposera désormais vigoureusement, avec les
autres formations de lopposition, à un HDZ en proie aux
dérives nationalistes et à la corruption.
Vous
avez été élu, Monsieur le Président, parce que vous avez su rester
fidèle à la Croatie et à vos idéaux, dabord sous le régime
yougoslave, puis face à lagression de Milosevic et enfin
face à lautoritarisme et aux visée expansionnistes de vos
anciens compagnons de route.
* * *
Aujourdhui
la Croatie sest résolument engagée sur la voie de lEurope,
« une nouvelle Croatie vers une nouvelle Europe », comme
vous lavez écrit récemment dans un grand quotidien français.
Elle
a choisi cette destinée, convaincue, depuis toujours, de son appartenance
à lespace européen : au plan historique et géographique,
dabord, puisque la Croatie sinscrit au carrefour des
ensembles slave, austro-hongrois mais aussi italien et méditerranéen
; au plan culturel et commercial ensuite, puisque de lancienne
République de Raguse, qui fut la rivale de Venise du sud de lAdriatique,
jusquau palais de Dioclétien à Split et à la ville de Zagreb,
neuf fois centenaire, vous avez multiplié les échanges de tous
ordres, littéraires et artistiques avec lEurope occidentale
et centrale.
Le
choix de lEurope, cest aussi la conviction de Robert
Schuman, dont vous avez commémoré lanniversaire à Zagreb,
que seules la coopération et la solidarité de tous les pays dEurope
rendront la guerre « impossible et impensable ». « Européaniser
les Balkans » répond ainsi à une double exigence : naturelle,
parce que vous êtes des Européens, et volontariste – parce
que la guerre doit devenir impossible entre les peuples
slaves du sud. Cest là, comme vous lécrivez sans détours,
« la seule orientation qui vaille ».
Vous-même
et votre gouvernement appliquez donc avec détermination le mandat
dintégration aux structures européennes et atlantiques que
le peuple vous a confié. Cet objectif vous conduit à entreprendre
aujourdhui dimportantes réformes de démocratisation
et de modernisation : respect de vos obligations internationales
envers le tribunal pénal international pour lex-Yougoslavie
de La Haye, devant lequel vous avez vous-même témoigné ;
relance du processus de retour des réfugiés, notamment des réfugiés
serbes, par labrogation des lois discriminatoires mises
en place par vos prédécesseurs ; engagement sans réserve en faveur
des accords de Dayton-Paris, dont témoigne notamment votre spectaculaire
voyage de réconciliation à Sarajevo en mars dernier ; choix de
lEurope enfin, et nous ne saurions loublier, dans
vos négociations dadhésion à lOMC, avec la reprise
des positions communautaires sur les questions audiovisuelles
et culturelles.
Toutes
ces réformes ont été entreprises non pas sous une quelconque pression
étrangère mais parce que vous lavez décidé : comme vous
le dites avec justesse, elles sont de lintérêt même de votre
pays et elles servent une ambition légitime, celle de lintégration
à la famille européenne.
Soyez
assuré, Monsieur le Président, que la France vous apporte et vous
apportera au cours de sa présidence un soutien sans réserve et
mettra tout en uvre pour aboutir, aussi vite que possible,
à louverture de négociations dun Accord de Stabilisation
et dAssociation entre votre pays et lUE. Comme lensemble
de nos partenaires, nous soutenons lentrée de votre pays
dans le Partenariat pour la Paix à loccasion de la prochaine
réunion ministérielle de lOTAN à Florence.
* * *
Les
relations bilatérales entre la France et la Croatie ne sont pas
encore, il faut le reconnaître, à la hauteur de nos ambitions
réciproques. Non pas parce que la France ait ignoré la Croatie
à travers lhistoire : je ne saurais oublier par exemple
que le littoral dalmate fut, au cours dun bref épisode
napoléonien, administré par la France sous le nom de « provinces
illyriennes ». La route qui va de Zadar à Dubrovnik en est
la trace vivante puisquelle fut construite à linitiative
du maréchal de Marmont, duc de Raguse. A lépoque récente,
nos liens se sont développés, notamment dans les domaines culturels
et économiques. Je citerai comme exemple le domaine aéronautique,
qui constitue le cinquième de nos échanges, ou encore la présence
de nos constructeurs automobiles et de nos entreprises de travaux
publics qui, deux cent ans après le maréchal de Marmont, continuent
de construire des routes en Croatie. Enfin, je ne résiste pas
au plaisir de rappeler que vous-même, Monsieur le Président, avez
de la famille en France, et même de la famille proche.
La
« nouvelle Croatie » doit cependant, cest notre
souhait, donner naissance à un partenariat renouvelé entre nos
deux pays. Que ce soit dans le domaine des infrastructures ou
du tourisme, nos entreprises doivent trouver toute leur place
dans le développement de la Croatie. Nous sommes attachés, Monsieur
le Président, à mettre en œuvre la préférence asymétrique
consentie par lEurope et nous souhaitons à cet égard que
votre visite soit loccasion dun nouvel élan dans lensemble
de nos relations. Nous savons que léconomie est une des
grandes préoccupations du gouvernement croate, et nous attendons
beaucoup des lois-cadres sur linvestissement actuellement
en cours délaboration.
Notre
coopération culturelle et audiovisuelle doit également se développer,
de même que nos échanges militaires, qui doivent prendre un nouveau
départ. Lenseignement du français, léchange des étudiants
et la création de diplômes universitaires semblables à celui mis
en œuvre par Paris II et lUniversité de Zagreb à compter
doctobre prochain devront être poursuivis et renforcés.
* * *
Monsieur
le Président, je voudrais pour conclure rappeler une phrase qui,
me semble-t-il, résume le nouvel état desprit qui prévaut
en Croatie aujourdhui : « La Croatie doit cesser dêtre
une partie du problème de cette région pour en devenir une partie
de la solution. » La France vous accompagne désormais dans
votre route, sans espoir de retour, vers lintégration européenne.
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