Le
Monde, 08/10/2000
Près de 5 millions de
déplacés
Les
résultats de la « purification ethnique » commencent à s'inverser. Les
réfugiés rentrent chez eux
Slobodan
Milosevic voulait réunir tous les Serbes dans un même Etat, une
« Grande
Serbie » taillée à coups d'obus et de kalachnikov dans
la Croatie, la Bosnie, le Kosovo. Mais c'est dans une toute petite
Yougoslavie, réduite à une Serbie qui a perdu le contrôle de sa
province du Kosovo et à un Monténégro chaque jour plus indépendant
de Belgrade, que s'entassent aujourd'hui près de 700 000 réfugiés
serbes, victimes des guerres perdues du maître de Belgrade. La
« petite Yougoslavie » est le pays qui abrite le plus
de réfugiés en Europe.
Pourtant,
après quatre guerres (Slovénie, Croatie, Bosnie, Kosovo), plus de 5 millions
de personnes déplacées, Slobodan Milosevic semblait avoir triomphé sur un point :
la Yougoslavie, pays pluriethnique, est aujourd'hui éclatée en des territoires
devenus presque « ethniquement purs » : après neuf ans de guerre,
les Républiques, provinces ou « entités » (en Bosnie) sont devenus homogènes.
Et, paradoxalement, c'est la Serbie qui reste l'un des Etats les plus multiethniques
de l'ex-Yougoslavie (après la Macédoine épargnée par la guerre).
Mais l'année
2000 pourrait marquer un tournant. Elle est peut-être celle où les résultats de
la « purification ethnique » - souvent jugée irréversible -
commencent justement à s'inverser. En Bosnie, comme en Croatie, près de cinq ans
après la fin de la guerre, le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR)
estime que l'on assiste à « une percée dans le retour des réfugiés sur
leur lieu d'origine ». « Le succès est à portée de main,
estimait mi-septembre le haut-commissaire aux réfugiés, Sadako Ogata. Les réfugiés
d'origine serbe se montrent de plus en plus décidés à rentrer » en Croatie.
En Bosnie, « le retour des minorités est finalement une réalité. Les réfugiés
(...) retournent même dans des villes qui étaient synonymes de »nettoyage
ethnique« au cours de la guerre », a-t-elle dit, citant Bijeljina, Foca
ou encore Prijedor. Au Kosovo, les Albanais, chassés par les forces serbes, sont
presque tous rentrés chez eux tandis que l'exode des Serbes de la province, victimes
de la vengeance albanaise, semble arrêté.
Croatie
Le pays
comptait près de 12 % de Serbes (600 000 personnes) avant la guerre.
Il en compte moins de 5 % après (moins de 200 000). De plus, au moins
150 000 Croates de Bosnie, réfugiés en Croatie, ont acquis la nationalité
croate, augmentant encore ainsi la part relative des Croates dans la population.
Au début de l'an 2000, plus de 250 000 Serbes de Croatie restaient réfugiés
en Serbie (et 40 000 étaient réfugiés en Bosnie). Depuis 1995, seuls 40 000 Serbes
réfugiés en Yougoslavie sont revenus en Croatie. Mais, depuis la mort du président
nationaliste Franjo Tudjman en décembre 1999, les retours se multiplient. Plus
de 10 000 Serbes de Croatie, exilés en Yougoslavie ou en Bosnie, sont
rentrés dans les six premiers mois de l'année. Et le mouvement semble s'accélérer.
Bosnie
Plus de
1,2 million de Bosniaques restent réfugiés, 800 000 d'entre eux étant
toujours des « déplacés » à l'intérieur du pays. Après la guerre et
l'expulsion de près de 900 000 Musulmans et Croates, la « République
serbe de Bosnie » était devenue serbe à 96 %. Les territoires contrôlés
par les Croates étaient à plus de 96 % peuplés de Croates. Et ceux contrôlés
par l'armée bosniaque étaient à plus de 80 % peuplés de Musulmans. Mais pour
les six premiers mois de l'année 2000, près de 20 000 personnes sont
rentrées chez elles, dans des zones où ils sont minoritaires, dont 7 500 Musulmans
et 600 Croates qui ont regagné leurs maisons en République serbe de Bosnie.
Ce qui représente un triplement des chiffres par rapport à 1999.
Kosovo
Presque
vidé de sa population albanaise pendant le conflit par les forces serbes, le Kosovo
est à nouveau peuplé d'une écrasante majorité d'Albanais. Plus de 860 000 personnes,
pour la plupart des Albanais chassés par les Serbes, sont rentrés depuis juin
1999. Quelque 187 000 non-Albanais (dont 90 % de Serbes) ont fui
ensuite la province depuis juin 1999, selon les chiffres du HCR. Mais la fuite
vers la Yougoslavie semble arrêtée. Il resterait donc moins de 100 000 Serbes
dans la province. Le retour des Serbes est l'objectif de l'ONU, qui administre
la région.
Jean-Baptiste
Naudet
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