25/11/2000

Entretien de M. Stjepan Mesic,
Président de la République de Croatie, avec le quotidien Le Monde

« Je crois aux forces démocratiques en Serbie »

« Attendez-vous du président yougoslave, Vojislav Kostunica, qu'il présente des excuses à la Croatie lors de sa venue à Zagreb pour le sommet Union européenne - Balkans ?

- Ce serait bien s'il saisissait cette occasion pour s'excuser des crimes commis par l'armée yougoslave et par les Serbes. Cela relève de la morale. Mais il serait encore plus important de voir la République fédérale de Yougoslavie poursuivre devant la justice les personnes responsables de crimes de guerre et d'extrader vers La Haye ceux accusés de ces mêmes crimes et de génocide. Cela inclut Slobodan Milosevic, qui a planifié la guerre et coopéré aux massacres, et les officiers supérieurs de l'armée yougoslaves. Nous sommes davantage intéressés par les faits que par les communiqués...

- Craignez-vous que les changements en Serbie retardent l'intégration de la Croatie en Europe ?

- L'un des messages du sommet de Zagreb est l'individualisation des candidatures d'adhésion à l'Europe. Nous prônons l'établissement de bonnes relations avec nos voisins, dans un cadre démocratique. A ce titre, le processus amorcé en Yougoslavie est acceptable : Milosevic, âme et inspirateur de cette politique criminelle, est parti. Mais nous attendons de la Serbie qu'elle vive sa propre catharsis. J'aimerais entendre les Serbes reprocher à Milosevic d'avoir commencé les guerres et non de les avoir perdues.

» Il n'est pas suffisant de faire tomber Milosevic. La Serbie et la Yougoslavie doivent renoncer à sa politique, c'est-à-dire à sa volonté de faire vivre tous les Serbes dans un même État. Ce serait leur accorder un privilège dont ne jouit aucune nation d'Europe. Il faut que Belgrade dise clairement que les Serbes vivant en dehors des frontières s'intégreront aux pays dans lesquels ils résident et non qu'ils soient à l'origine de revendications territoriales. Les dernières élections croates ont montré que nous considérons les Croates de l'extérieur comme des liens entre les nations et non comme une source de conflits.

- Slobodan Milosevic est-il toujours un danger pour la région ?

- Il dispose toujours d'une certaine influence sur l'armée, il est toujours à la tête du parti [socialiste] qui a organisé la politique impérialiste de ce pays. Mais je crois aux forces démocratiques en Serbie. Et je pense que prochainement le cas Milosevic entrera non seulement dans l'histoire mais aussi dans la réalité du Tribunal de La Haye.

- L'idée d'organiser le sommet UE-Balkans a été lancée avant la chute de Slobodan Milosevic. Cette réunion a-t-elle maintenant une autre utilité que de faire une photo de famille des chefs des États balkaniques ?

- Ce sommet a été conçu comme le moyen de réaffirmer que les pays de la région se conformeront à terme aux critères européens et intégreront l'Union européenne. Ce qui est notre souhait mais aussi notre destin. Une Europe unie et associée signifie la fin des guerres. Cela signifie aussi l'ouverture des frontières, une politique économique appliquée par des mécanismes européens. Chacun sera libre de vivre dans son propre environnement culturel, ce qui enlèvera tout sens aux revendications territoriales. Une Europe unie est synonyme de compétition avec les grandes puissances et porteuse de progrès économique. Dans ce cadre, aucun pays ne peut plus se comporter comme une île isolée. C'est aussi pour cette raison que nous accueillons favorablement l'évolution démocratique en Serbie.

- Comment interprétez-vous les résultats des élections en Bosnie-Herzégovine, marqués par la victoire des nationalistes ?

- Nous ne pouvons que prendre note de ces résultats. Il faut cependant remarquer qu'il ne s'agit pas seulement d'un vote en faveur des partis nationalistes [référence à l'enracinement des sociaux-démocrates antinationalistes en Bosnie]. Quant au référendum organisé dans la partie croate, ce n'était pas une bonne idée. Constitutionnellement, la Bosnie est formée de trois nations dont les membres vivent en Bosnie-Herzégovine, ce dont la loi électorale aurait dû tenir compte. Les choses évoluent et l'on pense maintenant que l'accord de Dayton doit être appliqué à la lettre, que la sécurité des personnes déplacées doit être garantie, mais surtout que l'on doit renforcer le pouvoir central. Les entités ne doivent pas devenir des États. Il ne doit y avoir qu'un seul commandement, qu'une seule source de financement pour l'armée, et non trois comme actuellement. Cette situation ne fait que conforter ce qui a été entrepris pendant la guerre.

- Ne craignez-vous pas que certains partis croates ou serbes tentent d'interférer sur la situation en Bosnie en soutenant leur communauté ?

- La guerre n'a pas été provoquée par des affrontements entre Croates, Serbes ou Bosniaques, ni pour des raisons religieuses ou ethniques mais parce que Milosevic avait planifié le dépeçage de la Bosnie et que les autorités croates ont pensé, à l'époque, que, si Milosevic pouvait y parvenir, la Croatie pourrait elle aussi avoir sa part du gâteau. Mais les partis qui ont soutenu une telle politique ne sont plus au pouvoir en Croatie. La Croatie a suffisamment de problèmes pour ne pas avoir à financer l'armée d'un autre pays.

- L'avenir du Kosovo est-il au sein de la Yougoslavie ?

- La politique de Milosevic a tout d'abord consisté à priver les Albanais de leurs droits puis à les chasser du Kosovo pour y reloger des Serbes de Croatie. Cela s'appelle un génocide. Il serait sans doute parvenu à ses fins sans l'intervention de la communauté internationale. J'ai donc du mal à imaginer quels liens formels pourraient encore unir, dans l'avenir, le Kosovo à la Serbie. Cela dépendra de l'évolution démocratique en Serbie. »

Propos recueillis par Christophe Châtelot

Sources : le Ministère croate des Affaires étrangères, la Présidence de la République croate, la Présidence de la République française, le Ministère français des Affaires étrangères, la Présidence française de l’Union européenne.
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