LE SOMMET
DE ZAGREB : REVUE DE PRESSE FRANÇAISE
Libération
24/11/2000
Kostunica, coqueluche
des Européens
Pour lUE,
leuropéanisation des Balkans repose sur le président yougoslave.
Par Jean
Quatremer, Zagreb, envoyé spécial
LUnion
européenne a pour Vojislav Kostunica les yeux de Chimène. Aujourdhui
à Zagreb, le «sommet des retrouvailles démocratiques»
entre les Quinze et les pays des Balkans - ainsi que la appelé Hubert
Védrine (voir Libération de lundi) - va fournir à
lUnion une nouvelle occasion de célébrer et soutenir le tombeur
de Slobodan Milosevic. Tous les espoirs des Européens reposent sur cet
homme. Sans lui, «leuropéanisation des Balkans»,
autre expression du chef de la diplomatie française, sera impossible. Les
Quinze nont donc quun souci: consolider le pouvoir encore incertain
du nouveau président de la Yougoslavie.
LEurope au secours
des Balkans
Cest la France qui
a eu lidée du sommet de Zagreb, en mai, pour appuyer lopposition
démocratique à Milosevic. Sa chute a changé la nature de
cette rencontre entre lUE et les pays dune région dévastée
par dix ans de guerre. Les Quinze y afficheront leur volonté daider
les Balkans à se stabiliser, tant politiquement, en leur reconnaissant
le statut de «candidats potentiels» à ladhésion,
que financièrement (4,65 milliards deuros prévus de 2000 à
2006). Via des «Accords dassociation et de stabilisation», lUE
veut encourager lAlbanie, la Bosnie, la Croatie, la Macédoine, la
RFY et la Slovénie à développer leur coopération régionale,
mieux protéger leurs minorités, régler la question des réfugiés
et respecter le droit international. J.Q. (Zagreb)
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Car pour
linstant, Kostunica ne préside que la Fédération yougoslave,
sans réels moyens de contrôle sur les Républiques qui la composent.
«La clé, cest le gouvernement et le Parlement serbes»,
rappelle-t-on dans lentourage de Javier Solana, le haut représentant
pour la politique étrangère de lUnion. «Une fois
quil aura gagné les législatives du 23 décembre, il
détiendra un vrai pouvoir.» Même si le président
serbe lui restera hostile, Kostunica aura alors la haute main sur le Parlement
serbe, et le Premier ministre sera un de ses proches. Il nest donc pas question
de faire quoi que ce soit qui puisse lui compliquer la tâche ou le déstabiliser,
au risque de «créer le chaos», explique-t-on à
la Commission de Bruxelles. Prêtes à laisser du temps au temps, les
capitales européennes se sont gardées de poser des préalables
comme le jugement de Milosevic par le Tribunal pénal international (TPI),
la libération de tous les prisonniers politiques, ou larrestation
des criminels de guerre, y compris en Bosnie.
LUE,
estime-t-on à Paris, a particulièrement bien manœuvré dans
cette affaire, «à la différence des Américains»:
du soutien proclamé à lopposition serbe, dès le Conseil
informel des ministres des Affaires étrangères, le 3 septembre à
Evian, jusquà la levée sans conditions des sanctions, décidée
le 9 octobre - moins de quatre jours après le départ de Milosevic,
les Quinze ont joué leur partition sans fausse note.
Avec une
belle unanimité, les Européens parent cet homme «intelligent»
de toutes les vertus: «nationaliste modéré»,
comme lexplique Javier Solana à Libération, ce qui
lui permet de ne pas saliéner le peuple serbe, cest surtout
«un homme de droit», qualité rare dans la région.
Les quinze chefs dÉtat et de gouvernement ont particulièrement
apprécié quil leur déclare, au sommet de Biarritz,
auquel il était invité à peine une semaine après avoir
renversé Milosevic: «Je sais que mon pays a trois Constitutions:
la Constitution yougoslave, les accords de Dayton (définissant le statut
de la Bosnie, ndlr) et la résolution 1244 de lONU (sur le
Kosovo, ndlr)...» Une façon de reconnaître que la souveraineté
dans lex-Yougoslavie est subordonnée au droit international, discours
révolutionnaire dans la bouche dun dirigeant serbe.
Kostunica
a su trouver le ton juste. Tant à Biarritz quà Strasbourg,
devant le Parlement européen, le 15 novembre, il a donné des gages
de sa bonne volonté, aussi bien au sujet du Kosovo que du Monténégro,
auxquels il promet un nouvel arrangement constitutionnel, quen ce qui concerne
la compétence du TPI: le jugement de Milosevic et des criminels de guerre,
ou encore le sort des prisonniers de guerre. Ses relations avec Solana, secrétaire
général de lOtan au moment des bombardements en Serbie, sont
détendues: Kostunica a toujours évité daborder ce délicat
sujet... Il a même déjeuné à côté de lui
à Strasbourg, au risque dirriter une partie de son opinion.
25/11/2000
Fraîches retrouvailles
euro-balkaniques
Le regain de tension
au Kosovo a jeté une ombre sur la réconciliation dans la région.
Par Jean
Quatremer, Zagreb, envoyé spécial
Lenthousiasme
des Quinze, tout heureux de célébrer la «réconciliation
de notre continent avec lui-même», selon lexpression de
Jacques Chirac, a été quelque peu douché. Certes, les dirigeants
des six pays des Balkans (Albanie, Bosnie, Croatie, république fédérale
de Yougoslavie, Macédoine, Slovénie) étaient réunis,
vendredi dans la capitale croate, pour la première fois après dix
ans de guerre, avec leurs collègues de lUnion européenne.
Mais, sous la cendre, la braise couve toujours, comme sest empressé
de le rappeler Bernard Kouchner. Ladministrateur de lONU au Kosovo
estime que les Balkans vivent un «moment critique»: «Il
est de ma responsabilité de vous alerter sur les dangers qui nous attendent
et que nous risquerions de négliger à force doptimisme.»
Javier Solana, le haut représentant de lUnion pour la politique étrangère,
lui a fait écho: «Nous navons pas échappé
entièrement aux fantômes du passé.»
Martelé.
Les deux hommes font allusion à la détérioration de la
situation au Kosovo, où plusieurs attentats ont été commis
ces derniers jours, dont lun a coûté la vie, jeudi, à
Xhemajl Mustafa, le conseiller politique dIbrahim Rugova, le chef modéré
de la Ligue démocratique du Kosovo, ainsi que dans le sud-est de la Serbie,
où des maquisards albanais ont enlevé et blessé des policiers
serbes. «Il nest pas nécessaire que dautres victimes
sajoutent aux morts pour prendre conscience que la confrontation est encore
présente», a martelé Kouchner. Vojislav Kostunica, le
tombeur de Milosevic, a aussi reconnu que la situation est explosive: «Le
Kosovo est certainement aujourdhui le problème majeur en Europe qui
pourrait provoquer de nombreux autres conflits, qui semblaient éteints
dans les Balkans, mais aussi ailleurs.» Et comme si cela ne suffisait
pas, le président du Monténégro, Milo Dukanovic, a profité
de loccasion pour annoncer quil organisera un référendum
sur lindépendance «dans la première partie de lannée
prochaine». Même si Kostunica en a admis le principe lors du conseil
européen de Biarritz des 13 et 14 octobre, une telle annonce, à
quelques jours des législatives serbes, risque de compliquer la tâche
du président yougoslave.
Hubert
Védrine, le chef de la diplomatie française, a voulu dédramatiser:
ce regain de tension «ne peut surprendre que ceux qui croient que tout
est réglé». Plusieurs centaines danciens combattants
croates sont dailleurs venus rappeler que les plaies étaient toujours
béantes, cinq ans après la fin de la guerre: «Il est moralement
insoutenable que lhospitalité soit offerte sans conditions au
soi-disant président démocrate de lEtat qui a infligé
des souffrances et des dommages à la Croatie, et na pas une seule
fois demandé pardon au peuple croate pour son agression», sest
exclamé Marinko Liovic, président de lAssociation des invalides
de guerre croates.
Chausse-trapes.
Dans ce contexte, le sommet de Zagreb sest passé du mieux possible.
Ne serait-ce que parce quil a eu lieu: «Il y avait beaucoup de
chausse-trapes», a rappelé Védrine, ajoutant «la
force dattraction a été plus grande que les problèmes».
Chirac, initiateur de ce sommet et président en exercice de lUnion,
a réaffirmé, pour appâter ces pays, quils étaient
des «candidats potentiels à ladhésion»:
«Oui, votre place, votre avenir, sont au sein de lUnion, qui est
aujourdhui plus unie et, de ce fait, plus forte», leur a-t-il
lancé. «Nous sommes ici entre nous, entre membres de la même
famille européenne et, dune certaine manière, le problème
de chacun est le problème de tous.» Mais, la «déclaration
finale» insiste aussi sur un point capital: «Démocratie,
réconciliation et coopération régionales dune part,
rapprochement de chacun de ces pays avec lUE, dautre part, forment
un tout.» En clair, lEurope ne rasera pas gratis.
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