15/12/2004
SCIENCES
DE LA VIE
Miroslav
Radman lauréat du Grand Prix Leonardo 2004
Le
professeur Miroslav Radman, spécialiste de la biologie
cellulaire et moléculaire, s'est vu décerner, le
15 décembre 2004 à Paris, le Grand Prix Leonardo
pour sa contribution au renouvellement et au décloisonnement de
la pensée scientifique. Membre de l'Académie des Sciences
de Paris, Grand Prix Inserm 2003, le scientifique d'origine croate,
s'est notamment rendu célèbre par ses découvertes
sur les mutations génétiques, généralement
considérées comme une brèche dans la pensée
darwiniste. Il travaille à l’ouverture, l’an prochain à Split,
en Croatie, d’un laboratoire international de biologie imaginé
comme une “Villa Médicis de la recherche”.
Depuis
1995, l’association Leonardo attribue le Grand
Prix à une personnalité ou à une entreprise
pour mettre en valeur le développement personnel, les personnalités
originales qui vont jusqu’au bout de leur talent et de leur
passion. Sous la présidence de Thérèse de
Saint Phalle, le Grand Prix Leonardo 2004 a été
décerné cette année au Professeur Miroslav
Radman.
LE
GRAND PRIX LEONARDO |
L’association
Leonardo compte aujourd’hui 700 membres, dont de nombreux
business angels et personnalités du monde de la finance.
Depuis sa création en 1989, elle joue un rôle pionnier dans
le développement du mouvement entrepreneurial et humaniste
en France : son rôle est de mettre en valeur et d’encourager
la créativité, la projection vers l’avenir et le goût de
l’entreprise sous toutes ses formes. Ainsi, chaque mois
depuis quatorze ans, Leonardo permet à des jeunes entreprises
en phase de création ou de premier développement de présenter
leur projet à des investisseurs privés, business angels
et investisseurs en capital-risque.
Ces rendez-vous mensuels ont permis à plus de 1.300 sociétés
de se présenter à des investisseurs, et pour certaines d’entre
elles de réunir les premiers fonds pour leur démarrage ou
leur développement. En 1995, les membres de l’association
ont décidé de créer un Grand Prix pour mettre en valeur
le développement personnel, les personnalités originales
qui vont jusqu’au bout de leur talent et de leur passion.
Association
Leonardo
58, avenue d’Iéna - 75008 Paris
Tél 01 47 20 24 88 -
Fax 01 49 52 01 01
www.leonardo.fr
|
Né
en Croatie, Miroslav Radman est, à 60 ans, directeur
de l’unité INSERM 571 “Génétique
moléculaire évolutive et médicale”
à la faculté de médecine de Necker - Enfants
Malades. Il est membre de l’Académie
des sciences et lauréat du grand
prix INSERM 2003 de la recherche médicale. Après
un parcours qui l’a amené de Zagreb à Bruxelles,
puis à Harvard, Gif-sur-Yvette, et enfin à Paris,
sa démarche originale et ses travaux sur les mutations
et sur la “réparation de l’ADN” lui valent
une renommée internationale.
Bien qu’il soit difficile de résumer les recherches
de Miroslav Radman, les résultats de ses travaux sont généralement
considérés comme une brèche dans la pensée
darwiniste qui domine le champ des sciences du vivant depuis plus
d’un siècle. Il a notamment démontré
par ses travaux que le processus de l’évolution n’était
pas linéaire, mais au contraire, statistique et alléatoire,
l’ADN générant naturellement et perpétuellement
des mutations en très grand nombre, dans lesquelles l’espèce
« puise » en fonction des contraintes et des nécessités.
Ses travaux ont des conséquences importantes dans des domaines
tels que le traitement du cancer ou le vieillissement (le cancer
étant « une maladie naturelle de l’organisme
vieillissant »).
Ses découvertes sur les mutations trouvent un écho
dans ses théories - largement non-conformistes - sur la
découverte scientifique et l’organisation de la recherche.
Il prône notamment une plus grande liberté laissée
aux chercheurs, un décloisonnement des différentes
disciplines, pour permettre des avancées qui sont de véritable
ruptures scientifiques, seules sources d’innovations majeures
dans le domaine scientifique.
Son
projet personnel, soutenu par plusieurs prix Nobel, illustre cette
vision de la recherche : il travaille à l’ouverture,
l’an prochain à Split, en Croatie, d’un laboratoire
international de biologie qui a été décrit
comme une “Villa
Médicis de la recherche”. Bénéficiant
d’une popularité importante dans son pays d’origine
et du soutien d’un grand nombre de scientifiques et chercheurs
internationaux, Miroslav Radman parviendra ainsi à créer
comme il l’a souvent expliqué un institut de recherche
pluri-disciplinaire, orienté vers la créativité
et la performance, dans sa région natale de l’Adriatique.
En
distinguant Miroslav Radman, Leonardo souhaite souligner le rôle
de scientifiques et d’intellectuels qui ouvrent de nouveaux
champs de recherche par la créativité individuelle,
le décloisonnement des disciplines et les ruptures dans
la pensée dominante.
« Miroslav
Radman, l’enfant de l’Adriatique »
Allocution de Madame Thérèse de Saint Phalle
Présidente du Comité du Grand Prix Leonardo
prononcée à l'occasion
de la cérémonie de remise du prix
le 15 décembre 2004 à Paris
Miroslav
Radman a été élu à l’Académie
des Sciences le 17 juin 2003 pour ses travaux sur la biologie
cellulaire et moléculaire.
Comment
n’aurait-il pas pensé alors à ses parents
qui menaient encore, dans l’Adriatique, la vie de leurs
ancêtres au temps de l’Iliade ? Son père, comme
la plupart des hommes de son village, était marin-pêcheur
sur l’Ile de Hvar,
entre Split et Dubrovnik. Sa mère, tout en s’occupant
de ses enfants, obtenait de leurs olives, l’huile la plus
pure du monde.
Né
le 30 avril 1944, dans les convulsions de la fin de la Deuxième
Guerre Mondiale, Miro, esprit curieux et libre, excellent élève,
très précis, a obtenu après son baccalauréat,
une bourse pour préparer sa licence de biologie à
l’Université de Zagreb.
Pour
compléter cette bourse, son père, qui travaillait
toute la journée, pêchait le maquereau la nuit.
En
1953, quand Miroslav avait neuf ans, un coup de tonnerre a ébranlé
les milieux scientifiques. Un chercheur américain de 25
ans, James Watson, avec l’anglais Francis Crick, 37 ans,
ont découvert la structure en double hélice de l’ADN.
C’est la base de génétique moléculaire
qui définit, en termes physico-chimiques, la nature de
l’information génétique.
En
1962, à 18 ans, Miro se fait vite remarquer par ses maîtres,
notamment le physicien Ivan Supek, Président de l’Académie
des Sciences de Zagreb. Les savants yougoslaves réagissent
avec enthousiasme à la remise du Prix Nobel, en 1962, à
Crick, Watson et Frank Wilkins, anglais.
Radman,
qui aime aller à l’essentiel sans se perdre dans
les détails, avait déjà assimilé par
ses lectures, l’importance de cette découverte. Socle
de notre information héréditaire, les molécules
d’ADN forment le noyau qui contient toute l’histoire
de l’humanité depuis la création des premiers
virus, des premières bactéries dans le bouillon
chimique primordial, activé par la lumière, qui
a précédé l’apparition de la vie.
Cinq
ans plus tard, le Président de l’Académie
des Sciences de Zagreb, dont Miro est devenu l’Assistant,
lui conseille de préparer son doctorat à l’Université
libre de Bruxelles, l’un des centres actifs de recherche
en biologie.
Doué
d’une formidable capacité de concentration, tendu
vers l’avenir, Radman étudie le processus selon lequel,
lorsque la molécule d’ADN est attaquée par
les rayons ultra-violets, les produits chimiques, le stress, les
radiations, etc… elle suscite ses propres agents de réparation.
Ces enzymes utilisent une micro-chirurgie qui excise les lésions
en les remplaçant par des nucléotides en bonne santé.
La séquence de l’ADN est inscrite par les quatre
lettres chimiques : ATGC.
Il
arrive que les réparations de ces « médecins
moléculaires » improvisés soient manquées.
Ces couacs des « garagistes de l’hérédité
» sont la cause du vieillissement et des cancers chez l’Homme.
Première
hypothèse : la cellule peut mourir de cette aberration,
de ce loupé.
Après
deux ans de biologie moléculaire à Bruxelles, Miroslav
rejoint le CNRS à Gif-sur-Yvette où il poursuit
ses recherches sur les lésions et le système réparateur
de l’ADN, auprès du professeur Dévoret.
Il
obtient ensuite une bourse pour se rendre à Harvard, au
département de Biochimie et de Biologie moléculaire,
aux Etats-Unis, auprès du professeur Meselson. Trois ans
de recherches intensives sur les réactions de la molécule
d’ADN, lorsque les réparations sont manquées.
A
27 ans, en 1971, Miro comprend soudain le principe des mutations
génétiques. Si les enzymes constatent que la lésion
est incurable et que la cellule va mourir, ils envoient un signal
de détresse que Miroslav a appelé « SOS
polymérases » qui active une quarantaine de gènes
de sauvetage, normalement silencieux. Parmi ces gènes,
il y en a trois qui permettent de copier la molécule ADN
endommagée et illisible, sauf pour eux. Les bactéries
survivent parce qu’elles copient leur ADN le plus vite possible
pour se multiplier le plus vite possible.
Darwin
avait compris que l’univers impitoyable de la vie procède
par l’élimination des plus faibles au bénéfice
des plus performants. Ceux que le hasard des mutations a dotés
de caractéristiques physiques favorables auront les meilleures
chances de se reproduire et de léguer à leurs descendants
les avantages acquis. Opérer une mutation devant un environnement
hostile, c’est se donner une nouvelle chance de survie.
La
vie continue depuis 3 milliards d’années et demi
parce que les gènes se sont transmis. La diversité
génère l’erreur, voire le foisonnement, le
gâchis de la vie, de la force vitale (320 millions de spermatozoïdes
dans le canon de papa pour un seul être humain).
Il
y a environ 500 millions d’années, le poisson s’est
doté de pattes. Voir le cœlacanthe. Au stade reptilien,
de mutation en mutation, il s’est mis à ramper dans
la vase. Peu à peu, ses pattes se sont rapprochées
sous son ventre. Protégé par une fourrure, son sang
est resté chaud. Il a des mamelles. C’est un reptile
mammalien, enfin un mammifère.
Chez
les mammifères, les « SOS polymérases »,
ces enzymes spécialisés pour chaque type d’agression
de l’ADN, sont engrangés et diversifiés.
Le
moteur créatif de Miro est le principe de mutation, clef
de l’Evolution. Il affine sa découverte des principes
actifs qui génèrent les mutations de la cellule,
en calculant l’équilibre qui se produit entre la
stabilité du gène et ses bonds imprévus,
c’est-à-dire sa variabilité. Ce qui le conduit
à décortiquer le principe de la capacité
à innover.
En
1972, Radman revient à l’Université libre
de Bruxelles. Il sera nommé professeur de recherche et
chef de laboratoire d’Enzymologie de l’ADN pendant
dix ans à Bruxelles, de 1973 à 1983.
En
1976, il découvre un second système majeur de réparation
de la molécule d’ADN. Ce système assure non
seulement la fidélité de la réplication de
la cellule agressée, mais aussi celle de la recombinaison
génétique. Ce mécanisme verrouille la barrière
des espèces en empêchant deux molécules d’ADN
incompatibles de s’apparier, ce qui provoque la stérilité
(voir le mulet, produit de l’âne et du cheval). Il
empêche également une association entre chromosomes
identiques. Radman met ainsi en évidence l’ensemble
du mécanisme de la barrière génétique
entre proches espèces chez les bactéries.
Par
ses trente années de travaux intensifs, le professeur Radman
est devenu le meilleur analyste de la manière dont la vie
résiste aux changements en changeant elle-même et
délibérément !
Pour
l’instant, nous avons la chance de l’avoir gardé
en France depuis 1983, vingt-deux ans. Il a été
directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique,
professeur des Universités en biologie cellulaire à
la Faculté de médecine Necker-Enfants malades.
Il
a reçu le Prix Inserm 2003
pour l’ensemble de ses travaux sur les mécanismes
des changements génétiques.
Ce
chercheur, épris de liberté, s’est associé
avec deux jeunes scientifiques : Ivan Matic et François
Taddei. Leur équipe se nomme TA-MA-RA.
Radman
a fondé deux sociétés de biotechnologie qui
mettent en application ses nouveaux produits de synthèse.
La seconde suscite des méthodes pour appliquer des tests
de reconnaissance d’ADN dont on se sert pour la recherche
des mutations responsables des maladies héréditaires
et des cancers. Vers 45 ans, dans l’espèce humaine,
les cellules porteuses de mutations s’accumulent inutilement,
d’où les cancers.
Modeste
devant ses découvertes fondamentales qui lui vaudront un
jour le Nobel, Miro mène une vie équilibrée
avec Danica, son épouse serbe, ethnomusicologue, et ses
trois enfants. Ses parents, qui n’ont jamais quitté
leur île, attendent le retour de Miro, l’enfant de
l’Adriatique.
Il
regarde l’avenir avec confiance : n’est-il pas le
fils d’un marin-pêcheur qui n’a jamais craint
le gros temps ? Nous sommes honorés de lui remettre le
Grand Prix Leonardo 2004 !
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