24/01/2001
SUR LES ÉCRANS
Une Américaine à Vukovar
« Harrison's Flowers » d'Elie Chouraqui

Avec ce film actuellement sur les écrans le réalisateur français Elie Chouraqui propose le premier long métrage dont l'intrigue se déroule sur fond de la guerre qui embrasa la Croatie en 1991, et notamment aux environs de la ville de Vukovar conquise par l'armée et les milices serbes après un siège terrible qui dura trois mois. Bien qu'il s'agisse là d'une fiction sans prétention didactique particulière, le cinéaste y est néanmoins parvenu à restituer les scènes de guerre avec un réalisme saisissant. Un public averti y décèlera sans doute l'imposant travail de documentation et de reconstruction qu'aura nécessité le tournage.

A l'automne 1991, lorsque débute l'agression serbe en Croatie, Harrison Lloyd (interprété David Strathairn), un photographe américain employé par Newsweek, disparaît dans les environs de Vukovar, laissant derrière lui ses deux enfants et sa femme Sarah (Andie MacDowell) qui refuse de croire à sa mort. Elle s'envole alors pour l'Autriche, loue une voiture, passe la frontière et se joint à un groupe de photographes de presse qui couvrent le conflit, dont Kyle (Adrian Brody), un ami de son mari. Yeager Pollock (Elias Koteas), un autre collègue les ralliera bientôt. Ensemble, passant au milieu d'exactions en tous genres, ils vont rejoindre les ruines de la ville croate martyre, assiégée, pilonnée, et bientôt envahie par l'armée de Belgrade et les miliciens serbes. Voilà pour le décor.

C'est sur cette trame que Chouraqui tisse son récit où il dépeint avec brio la difficile profession de reporter de guerre. Pour ce qui est du choix de la guerre de Croatie, il s'explique : « J'ai, en effet, pris l'exemple de Vukovar pour montrer la folie hystérique des hommes. (…) En 1991, Vukovar a été la première ville d'Europe entièrement bombardée depuis la Seconde Guerre mondiale. Les Serbes l'ont pilonnée pendant 80 jours. Il y a eu une obstination à raser cette ville du XVIIe siècle pour que disparaisse de la surface de la terre le génie de l'architecture croate. Les Serbes se sont livrés à des exécutions sommaires, à de multiples atrocités, exterminant à la grenade, tuant les blessés de l'hôpital. Tout ce que je montre dans le film figure dans le rapport des Nations unies (…) ». Et effectivement la minutie dont il a fait preuve pour reconstituer fidèlement l'atmosphère apocalyptique qui règne dans les rues du « Stalingrad croate » est véritablement déconcertante.

Pour autant, Harrison's Flowers n'en est pas moins une fiction, ce que le réalisateur revendique à juste titre. Ceux qui s'attendaient à voir enfin portée à l'écran l'épopée de la fameuse « bataille de Vukovar » resteront sur leur faim. Aucune trace de l'héroïque et désormais légendaire résistance du petit millier d'hommes écrasés sous les bombes qui parvinrent, contre toute attente, à tenir en échec un adversaire largement suréquipé et très supérieur en nombre. Certes, le scénario déjà excellent n'en aurait sans doute été que meilleur. Il est pourtant des moments où curieusement le réalisateur exploite avec précision les références historiques, quoique secondaires, en poussant très loin le réalisme. Ainsi nous fait-il revivre la prise par les Serbes du tristement célèbre hôpital de Vukovar, il est vrai, sans montrer le sort funeste alors réservé à ses deux cents blessés, ensevelis depuis à quelque distance de là dans le charnier d'Ovcara.

D'autre part, le choix délibéré du réalisateur de ne faire accéder au véritable rang de personnage que les seuls reporters occidentaux, s'il entretient ainsi indiscutablement une certaine distance à l'égard du conflit, n'en facilite pas moins a posteriori une meilleure appréhension. L'identification suggérée avec le personnage principal, incarné avec force par Andie MacDowell, n'en est de la sorte que plus aisée. Paradoxalement, la crudité et le réalisme époustouflant des scènes de guerre risquent de surprendre le public occidental qui ne garde généralement en mémoire de la guerre en « ex-Yougoslavie » que le siège de Sarajevo, auquel il convient d'ajouter depuis peu l'intervention de l'OTAN au Kosovo. Mais la dureté de certaines scènes vient ici brutalement rappeler à quel point la violence voilà déjà dix ans de la campagne militaire serbe en Croatie, fût-elle moins médiatisée, ne saurait être réduite à un simple avant-goût du conflit bosniaque.

Pourtant certains clichés semblent tenaces. Certains commentateurs que le film n'a apparemment pas vraiment éclairés l'ont même présenté comme se déroulant en Bosnie, voire en Serbie... Ainsi a-t-on pu lire récemment sous la plume circonspecte d'un critique de cinéma que Chouraqui péchait par excès puisque la guerre en Croatie n'aurait, selon lui, « jamais atteint » l'intensité qu'elle a dans ce film. Quand on sait que Vukovar, après seulement que trois mois de bombardement, demeure la ville où les destructions ont atteint un degré inégalé dans l'ensemble de la région, on peut en douter.

Au-delà de sa qualité esthétique indéniable, le grand mérite d'Harrison's Flowers est peut-être précisément d'être parvenu a mêler avec habileté fiction et réalisme, où effort documentaire vient avantageusement étoffer un scénario original librement inspiré du roman Le Diable a l'avantage d'Isabel Ellsen. En illustrant les risques auxquels s'exposent quotidiennement les reporters de guerre, Elie Chouraqui choisit aussi de nous rappeler le prix exorbitant qu'à l'aube du IIIe millénaire un peuple a dû payer pour défendre, au cœur de l'Europe, des droits aussi légitimes et fondamentaux que l'indépendance ou la démocratie.

Le Service de presse

Harrison's Flowers de Elie Chouraqui, en salle à partir du 24 janvier 2001.

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