Le Monde, 23/05/1996

REVUE DE PRESSE

AUJOURD'HUI - VOYAGES
Split en son palais
Slave de coeur mais latine de moeurs, la ville est résolument tournée vers sa mer et l'Europe nourricières

Jean-Pierre Langellier
Split, envoyé spécial

Tout commence il y a juste dix-sept siècles, sous Dioclétien, l'un des six empereurs dalmates donnés à Rome. Il est né par ici, près de Salona, la grande cité de l'époque, fils d'un esclave affranchi, un autochtone illyrien devenu berger. C'est un soldat de fortune, longtemps obscur, à qui une druidesse prédit un jour son destin. Putschiste avant l'heure, que les armées « proclament » en l'an 284, il tient sa cour à Nicomédie, l'actuelle Izmit turque, d'où il surveille et combat les Perses.

On l'imagine à mi-règne, déjà un peu las dans sa lointaine capitale, et songeant à la terre natale. Ou bien y retournant, et scrutant les côtes aimées du pont de son navire, à l'heure où souffle la légère brise d'été, qu'on appelle aujourd'hui maestrale. C'est ici, décide-t-il, qu'il s'offrira un palais pour ses vieux jours. Tout l'y incite : le mal du pays, la douceur du climat, les sources sulfureuses qui soigneront ses douleurs.

Pendant dix ans, des légions d'architectes, des cohortes d'artistes et une foule d'esclaves dessinent, taillent et ornent l'un des plus admirables édifices que Rome ait jamais fait construire. Un grand carré fortifié, type castrum, bâti, souhaite Dioclétien, « pour l'éternité ». Avec seize tours, quatre portes et des murs qui atteignent vingt-cinq mètres. La pierre vient de Brac, l'île aux chèvres et aux pirates, selon Pline l'Ancien. C'est un calcaire ardent et dur, semblable à celui qui donne au rivage dalmate son abrupte beauté. L'Egypte fournit le granit et le marbre, et, bien sûr, ses statues, tel ce sphinx de Louxor qui veille encore sur le péristyle. L'ensemble peut abriter deux mille personnes.

La fin du règne de Dioclétien dernier empereur païen, dernier persécuteur est cruelle aux chrétiens, assimilés aux magiciens, envoyés aux mines et au bûcher. En cette « ère des martyrs, l'empereur, déclinant, cède aux ultras du paganisme. A Salona, où les antiques religions à mystère, tel le culte de Mithra, n'en finissent pas d'agoniser, les arènes assistent au supplice d'Anastase et de Domnius, qui deviendra le saint patron de Split. Chaque 6 mai, les processions chantent à sa mémoire des psaumes venus du fond des âges. Un rite renaissant, délaissé durant les quarante ans de socialisme yougoslave.

LE SARCOPHAGE DE DIOCLÉTIEN

Mais Dioclétien ne peut briser l'élan fou de la nouvelle croyance qui bientôt triomphera, devenant religion d'Etat sous Constantin. Ayant goûté à l'Orient, le vieil empereur, gonflé d'orgueil, coiffe le diadème des rois de Perse. Tout ce qui touche à sa personne devient d'ordre divin. Puis, soudain, malade et découragé, il quitte la pourpre, rentre au pays et se calfeutre, retraité solitaire, dans sa ville-palais pour y cultiver pendant huit ans ses légendaires laitues. Il meurt en 313, et, avec lui, le monde des césars.

Lorsque Salona tombe, en 614, sous les coups des barbares Avars et Slave, le palais aux murs cyclopéens offre un refuge aux vaincus. Il devient une ville, un monument où l'on vit depuis treize siècles, mêlant les influences et les styles au gré des occupants qui l'oppriment mais l'ennoblissent. Une cité tour à tour franque, byzantine, croate, hongroise, vénitienne, française, autrichienne, yougoslave, italienne et de nouveau croate. Au fil du temps, la ville s'entasse en son palais, s'y niche et s'y incruste. On la perce, la scelle ou la rapièce. Avec ses grottes et ses cryptes, ses crevasses et ses plis, ses ordures qui s'empilent et ses tombes au-dessus des têtes. Avec ses énigmes, dont la plus lancinante : où est le sarcophage de Dioclétien ?

Aujourd'hui troisième ville de Croatie, avec 200 000 habitants, Split est slave de coeur mais latine de moeurs, résolument tournée vers sa mer et l'Europe nourricières. On y déguste le meilleur risotto et son expresso vaut bien celui qu'on sert sur l'autre rive adriatique. Une ville jeune, dynamique, universitaire un citadin sur cinq est étudiant, où l'on croise des adolescentes songeuses aux bras chargés d'ouvrages, où l'on bavarde longtemps dans les ruelles de pierre et aux terrasses des cafés du péristyle, devant la cathédrale la plus ancienne et la plus petite du monde, un bijou octogonal construit sur le mausolée de Dioclétien. Hors les murs, le football, autre passion latine, enfièvre, certains soirs, les supporteurs du Hadjuk, l'équipe locale.

Les convois de l'IFOR, la force d'intervention dans la Bosnie voisine, les soldats étrangers qui musardent sous les palmiers ou, plus rares, les « observateurs » de l'Union européenne, dont on brocarde sans tendresse l'inaction en les appelant des « marchands de glaces » (à cause de leur uniforme blanc), remémorent à chacun le naufrage de la Yougoslavie. Même si Split, à la différence de Dubrovnik, la belle convalescente, n'a vraiment vécu la guerre, « la dernière guerre, comme on dit ici, que le temps d'une matinée en novembre 1991, lorsqu'un bâtiment de la marine fédérale bombarda la ville. Un navire c'est un comble nommé... Split. La plupart des 50 000 réfugiés, surtout venus de Krajina, sont repartis ou ont trouvé un toit. Les autres végètent encore dans quelques hôtels.

Mais les pas ramènent sans cesse au palais. Sous les voûtes magnifiques, aujourd'hui dégagées, qui étayaient les appartements impériaux. Près des remparts, où le linge sèche entre chapiteaux et colonnes. Devant la longue loggia, face à la mer, où un figuier pousse sur une corniche, parmi les antennes de télé. Et dans la cathédrale, où ce jour-là, derrière le portail en bois sculpté, chef-d'oeuvre d'Andrija Buvina, un touriste aveugle écoute, solitaire, une religieuse jouer de l'orgue.

J.-P. L.

 

Carnet de route

Séjours. Ce voyage à Split s'inscrivait dans un séjour d'une semaine en Dalmatie, organisé par l'agence Intermèdes (60, rue La Boétie, 75008 Paris, tél : 45-61-90-90), à l'instigation de l'Association des amis du Musée des monuments français (palais de Chaillot, 1, place du Trocadéro, 75116 Paris. Tél : 44-05-39-10). Au programme, outre Split : Trogir, Salona, Korcula et Dubrovnik. L'agence Dubrovnik Plus assure un vol charter direct hebdomadaire Paris-Dubrovnik (5, place Charras, 92400 Courbevoie. Tél : 46-67-39-10).

Livres. Sur Dioclétien et son palais, lire notamment les articles spécialisés dans l'Encyclopédie Larousse universelle (XIXe et XXe siècles. Hachette, 1988) et le déjà ancien Yougoslavie, dans la collection « Petite planète » (Seuil) de Jean-Marie Domenach et Alain Pontault. Pour une synthèse historique, Vie et mort de la Yougoslavie de Paul Garde (Fayard, 1992).


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