La Croix, 29/11/1995

MEDITERRANEE
Rijeka ou le Roman de la ville fleuve
A l'occasion de la Conférence euroméditerranéenne, une visite dans cinq villes très liées à « Mare nostrum ».

Envoyée spéciale

C'étaient de vieilles cartes postales écornées, aux couleurs pâtissières, trouvées à la foire à la brocante de Budapest. Elles venaient de Fiume (ancien nom de Rijeka) et de sa station balnéaire, Abbazia. Les couleurs des photos (noir et blanc, retouchées au pinceau) avaient passé avec le temps : les palmiers avaient viré au bleu, et les façades des majestueux hôtels bordant l'Adriatique avaient pris une teinte abricot. Les timbres, hongrois, dataient du début du siècle. C'était l'époque où l'Empire austro-hongrois s'étendait jusqu'à la mer et où la bourgeoisie magyare venait goûter la tiédeur de l'été méditerranéen, oubliant la sévérité de l'hiver qui avait tenu le Danube dans sa main de glace pendant quelques mois.

Ainsi s'esquissa un voyage à Fiume, en hommage peut-être à ce « paradis perdu » de la mémoire hongroise. Avec le traité de Trianon (1920), la Hongrie perdit en effet son accès à la mer mais, ironie de l'Histoire, elle fut ensuite gouvernée par un amiral (sans flotte) qui avait fait ses classes à l'académie de marine de Fiume...

LA CROATIE

Superficie : 56 538 km2, soit la plus grande des Républiques de l'ex-Yougoslavie, juste devant la Serbie.
Population : 4,7 millions d'habitants (dont 11 % de Serbes avant la guerre).
Capitale : Zagreb.
Déclaration d'indépendance : 15 janvier 1992.
Economie : la Croatie représentait, en 1989, 20 % de la production industrielle, 7,6 % de la production agricole, 20,5 % des exportations et 23,6 % des importations de l'ex-Yougoslavie, avec un produit intérieur brut de 75 milliards de francs.
Un tiers de l'industrie croate a été détruit par la guerre et les dégâts sont estimés, en octobre 1995, à 100 milliards de francs. Le conflit a également ôté à la République sa principale ressource financière, le tourisme. Le pays aurait perdu 30 milliards de francs en recettes touristiques non réalisées.

Fiume s'appelle aujourd'hui Rijeka et se trouve en Croatie. De Zagreb, la capitale, la route serpente à n'en plus finir comme si elle hésitait à quitter les forêts de sapins et l'air sec des montagnes, puis plonge brusquement vers la plaine. Après un plateau rocailleux, soudain la végétation méditerranéenne est là. Palmiers et lauriers surgissent sans crier gare et, dans les faubourgs de Rijeka, le linge flotte au vent tiède qui amène déjà les odeurs du port. Rijeka, grande ville de l'Istrie, région de l'ouest de la Croatie, est aussi le premier port du pays. Quelque 3 000 personnes y travaillent et le chantier naval fournit un emploi à quelque 5 000 autres. Débouché naturel des plaines d'Europe centrale, Fiume a été, dès le XVe siècle et grâce aux Habsbourg, un port d'échange avec l'Orient et un important chantier naval.

Un merveilleux monastère

Ce havre naturel sculpté par la mer, on le découvre du balcon qu'offre le merveilleux monastère des Franciscains, construit sur la colline de Trsat en 1468 par les chevaliers croates Frankopans qui, tout en reconnaissant l'autorité de l'Empire, régnaient alors sur la région. Il abrite un portrait de la Vierge Marie, magnifique huile sur bois attribuée à saint Luc. Le Pape Urbain V l'offrit aux Franciscains en échange des vestiges de la sainte demeure _ où aurait eu lieu L'Annonce faite à Marie _ que, d'après la légende, les croisés auraient rapportés de Palestine en 1291.

Depuis lors, des pouvoirs miraculeux sont attribués à ce tableau et le monastère est fréquenté par les pèlerins qui escaladent courageusement les centaines de marches, ô combien abruptes, taillées dans la colline.

Autour du monastère, la douceur de vivre qui règne sur les terrasses de café, çà et là recouvertes d'une tonnelle de vigne, ne doit pas faire oublier le drame que vécut naguère Rijeka. Par deux fois, elle fut plongée dans le gouffre d'une guerre sans fin.

D'abord à la chute de l'Empire austro-hongrois, lorsque le poète guerrier Gabriele d'Annunzio et ses « arditos » (légionnaires) occupèrent Fiume, mettant la ville à sac et y faisant régner la terreur. Sous la pression internationale, le gouvernement italien força d'Annunzio à évacuer la ville et un statut de neutralité fut attribué à Fiume. Mais la tension persistante entre arditos et communistes faisait de la ville une poudrière qui pouvait éclater à tout moment.

Une ville désormais séparée en deux

Jusqu'en 1924, où la Yougoslavie, née des décombres de l'Empire austro-hongrois, et l'Italie signèrent le traité de Rome. Celui-ci sépara la ville en deux, de chaque côté du fleuve Rjecina. A l'ouest, l'Italie, à l'est la Yougoslavie. En italien, Fiume signifie « fleuve ». En croate, Rijeka a le même sens aujourd'hui.

Il n'y a pas beaucoup de villes qui s'appellent, en toute simplicité, « fleuve ». Ce nom plusieurs fois centenaire prit alors un sens tragique. Le fleuve devint symbole de division, de séparation, alors qu'au début du XXe siècle, il unissait plusieurs communautés. En 1910, 49 % des habitants étaient Italiens, 27 % Croates, 13 % Hongrois, 5 % Slovènes et 5 % Allemands. Aujourd'hui la population de Rijeka (170 000 habitants) est en majorité croate, avec quelques milliers d'Italiens et de Serbes.

La Seconde Guerre mondiale plongea de nouveau Rijeka dans le bruit et la fureur. Dans la ville, la confusion fut à son comble lorsque des centaines de milliers de réfugiés, craignant le pouvoir communiste, fuirent vers la frontière italienne.

Nejdjelko Fabrio, écrivain né de père italien et de mère croate, vit aujourd'hui à Zagreb. Ce petit homme au rire prompt et aux mains volubiles a écrit la saga d'une famille durant cinq générations, dont le principal protagoniste est Rijeka, la ville de son enfance. « Comme Gdansk ou Trieste, cette ville a toujours été au coeur du drame. J'avais 10 ans et je revois toujours cet incroyable chaos. Les réfugiés que nous étions, que nous côtoyions, ne venaient pas de la campagne comme les Bosniaques que l'on voit à la télévision. Croates, Italiens ou Allemands, c'étaient des gens riches, urbains, qui ne voulaient pas vivre sous le communisme. »

La ville grouillait, envahie par ces familles de professeurs ou médecins arrivant avec meubles, cartons à chapeaux, livres et pianos... « De cette tourmente, de cette énergie tout droit sortie de l'enfer, il fallait que naisse un roman », raconte Nejdjelko Fabrio. Son livre culmine sur un tragique amour entre un Roméo croate et une Juliette italienne. Si l'oeuvre connaît un grand succès et a été adaptée à la scène par le théâtre de Rijeka, c'est que l'auteur égratigne avec talent les nationalismes de tous crins, italien ou croate.

Des habitants à l'écart du nationalisme

Le nouveau nationalisme croate, issu de la guerre, n'a pas prise à Rijeka. « Ici des milliers de gens regardent la télévision italienne, des milliers de marins ont parcouru le monde. Rijeka n'a pas peur de la différence, c'est une ville tolérante », juge Miljenko Marin, rédacteur en chef de Novi List, premier quotidien de la ville et, avec le Feral Tribune, de Split, seul organe de presse vraiment indépendant du pouvoir. A Rijeka, on lit aussi le quotidien local Voce del popolo ou le Piccolo de Trieste.

On parle volontiers l'italien dans les commerces et l'on va faire des emplettes à Trieste, à une demi-heure de route. Vêtements et chaussures y sont moins chers pour les citadins qui, tout en étant loin du front, n'en ont pas moins souffert des conséquences économiques de la guerre dans l'ex-Yougoslavie. Pour améliorer l'ordinaire, on loue sa chambre au voyageur de passage et l'on cultive son jardin.

Certes, les chantiers navals continuent de recevoir des commandes, de l'Iran, de l'Allemagne, de la Malaisie. Depuis 1993, ils assurent la maintenance de la flotte de guerre américaine dans l'Adriatique. Mais la chute de l'activité touristique a durement touché Rijeka, lieu d'embarquement pour les croisières dans les îles et départ de la Magistrale, cette route côtière longue de 800 km, longeant en corniche la mer jusqu'à l'Albanie. « Bosnie ou Croatie, les touristes ne font pas la différence, ils pensent que l'endroit est dangereux », soupire un hôtelier d'Opatija (ancienne « Abbazia »), dont les belles plages s'étirent à perte de vue le long de la baie. « Quand l'Europe comprendra-t-elle que nous sommes européens ? » s'étonne l'historien Ivo Rendic, en sirotant un cappucino sur le port et en ajoutant : « L'Istrie n'est pas les Balkans ! » Car la paix retrouvée éveille un autre espoir, celui de rejoindre l'Europe, si près, juste derrière la baie.

Florence LA BRUYERE


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